PRIX DES AUTEURS INCONNUS 2024 /LITTÉRATURE BLANCHE : COLORIER TA VIE DE MES RIRES / PASCALE GUEROULT-MAUDUY
Un drame à plusieurs facettes, pas toutes équilibrées, avec de beaux moments et des inégalités dans sa construction.
! contient des spoilers !
LE RÉSUMÉ
Dans les couloirs de l’unité d’oncologie pédiatrique, on trouve toutes sortes d’êtres et d’entités : un médecin endeuillé revêche et affectionné par ses patients, des petits malades adorables confrontés au pire, une passionnée de théâtre qui vient redonner sourire et espoir aux enfants, et puis, quelque part dans l’air, le fantôme de Zoé, la fille perdue de Felix, que sa pratique de la cancérologie n’a pu sauver. À force de faire subir son atroce caractère aux soignants, Felix est mis sur la touche, quand Charlotte installe ses ateliers, et si entre eux, le clash de deux personnalités opposées est explosif, petit à petit, ils finissent par trouver un terrain d’entente, et guérir les blessures de l’autre, jadis utopique, devient réalité. Et si la vie réservait encore à ce père frappé du pire des chagrins de jolies surprises ? Et si Zoé, depuis l’au-delà, avait un rôle à jouer ?
LA CHRONIQUE
Colorier Ta Vie De Mes Rires est un roman polarisant. Certains de ses aspects sont maîtrisés, beaux et poignants, et d’autres posent question quant à sa construction, notamment l’abandon du cœur de l’histoire à mi-ouvrage pour devenir une romance.
La première moitié du récit se déroule pour majorité dans une unité d’oncologie pédiatrique, où l’autrice pose un décor émouvant et fort, donnant une identité propre aux petits patients, et l’on se surprend à vouloir prendre ces enfants brisés sous notre aile. Cependant, ce très joli portrait est nuancé par la personnalité de Felix, qui, bien que gentil et doux avec ceux qu’il tente de soigner, est parfaitement imbuvable avec les gens avec qui il travaille, rendant partiel le processus de création de l’empathie du lecteur. Si l’ont peut tout à fait entendre la profondeur de sa détresse depuis le décès de sa fille, certains mots sont très durs et le font passer pour particulièrement cruel. Son comportement face aux parents de Rayan est inacceptable, et le présente détestable. À l’opposé, a trop vouloir monter que Charlotte est irrésistible et déplace derrière elle des effluves de vie, la cumulation de visites, projets et idées gomme les lignes du personnage, un manque de mise en contexte des activités de la jeune femme contribuant encore à cet effet.
Dans le même ordre, le désir de grossesse de Charlotte, sans être incohérent, pose un certain nombre de questions. D’où vient-il ? Pourquoi n’accorde-t-elle aucune importance au fait de faire un enfant seule ? Et l’absence visible de conséquences psychologiques après trois fausses couches consécutives laisse planer un vrai doute, donnant l’impression que ces idées ne sont pas totalement abouties.
En revanche, le personnage de Julie est bien amené et touchant dans sa détresse, elle parvient à véhiculer sa peine immense et toute la dévastation provoquée par la perte de sa fille. Même si le hasard que Julie soit l’ancienne meilleure amie d’enfance de Charlotte semble difficile à avaler, le lien entre les deux femmes est un des plus jolis aspects du récit, et le retour délicat à la vie de la maman de Zoé est bouleversant.
Il règne dans la narration une ambiance étrange, entre moments suspendus et attachants, et traits volontairement exagérés, comme le procès fait par les grands-parents de Zoé qui n’a pour fondement que le chagrin, ou la méchanceté de Melanie, supposée thérapeute et pourtant dérangée dans ses comportements extrêmes. De façon générale, on garde l’impression que l’autrice cherche à raconter plusieurs histoires en une, et que certaines sont délaissées à mi-chemin : c’est le cas pour les petits malades et l’atelier de théâtre si importants pour Cham et Felix, et qui terminent totalement abandonnés au profit d’un séjour initiatique au Québec sur les traces du dernier voyage de Zoé.
Toutes ces histoires ont leur propres force et intérêt, mais à force de se croiser et d’empiéter les unes sur les autres, elles perdent leur couleur et finissent dissoutes dans le récit, ce qui est dommage. Ça l’est d’autant plus que la plume de l’autrice, parfois alambiquée, offre de vrais beaux passages et de jolies descriptions vivantes, et que la romance est amenée avec poésie.
La fin laisse l’impression de vouloir boucler tous les fils narratifs en quelques pages : l’atelier, la grossesse de Cham, le procès, Julie… Tant d’efforts sont fournis pour installer ces éléments, pourquoi ne pas leur donner une vraie conclusion tout aussi élaborée ?
Pour terminer, voici un récit qui a beaucoup de potentiel, mais manque de clarté dans sa construction, et possède des personnages parfois manichéens. La lecture reste assez agréable, tantôt frustrante, et tantôt poignante.
Commentaires
Enregistrer un commentaire