SERVICE PRESSE SIMPLEMENT PRO : DE CREUSER, MA MAIN S'EST ARRÊTÉE / SAMUEL HERVY
Une brillante capture de l'étouffement de la vie moderne et de l'ailleurs toujours salvateur
Thomas étouffe. Paris lui est trop petit, et les absurdités du monde et du capitalisme moderne sont en train de rogner petit à petit son humanité et sa capacité à aimer. Sa rupture avec Caroline le précipite dans les tréfonds de cette existence étriquée, et sert de catalyseur pour ne pas se laisser disparaître dans la routine. Et si il était temps de tout balancer et d'aller respirer un autre air ?
La chronique :
Dans notre ère anxieuse, les récits qui envoient valser les vies monotones dans lesquelles nous sommes engoncés fleurissent de partout.
Celui de Samuel Hervy est particulier : il capture la rage intérieure, la tristesse alentours, la violence de la vie rangée qu'on nous force à avoir, mais il sait aussi se teinter d'un vrai espoir final.
Le style de l'auteur est précis, acéré, épidermique, presque, et dès les premières pages et cette rupture presque navrante de banalité, on plonge dans un miroir d'une efficacité redoutable de nos vies à tous. La peinture des transports en commun, des meutes pressées et déshumanisées, des décisions insensées des porteurs de pouvoir, et du monde du travail presque conçu pour asservir est brillante, piquante et réaliste, elle se base sur des micro-perceptions qu'on a tous ressenti une fois au moins. Samuel se sert de ces éléments pour rendre sa plume vive et saisissante, et l'ancrer dans un réel angoissant sans vraie menace.
Les références à Matrix sont à la fois essentielles, puisque répétées, sans pour autant être lourdes, le propos étant presque une sous-nuance du célèbre film. Il y a dans notre protagoniste la même lassitude que celle de Neo, et cette impression étouffante que le système se referme sur lui sans prendre une seule fois la mesure de qui il est vraiment. Rien que dans le croquis en escalier de ses collègues de travail, Thomas capture par la plume de son auteur le cœur même du problème, les petits qui se plient aux exigences insensées du haut de la pyramide.
Toutefois, jamais le roman ne s'enfonce dans une forme de noirceur dépressive, ou de spleen agressif. Le personnage garde assez de sursauts de vie pour ne pas sombrer, et l'espoir d'autre chose tient le lecteur en haleine, presque comme dans un thriller de l'homme VS le capitalisme. La claustrophobie qui dégouline entre les lignes trouve soulagement en certaines relations, notamment la pétillante Julie qui est un vrai rayon de soleil, et Samuel Hervy maintient alors les lecteurs dans une ligne de vie équilibrée, sans jamais en faire trop d'un côté ou de l'autre.
Il y a dans le travail de description dynamique et multi-sensorielle de l'auteur une prise façon polaroid de la société, et une saisie instantanée des gens, des combats de ceux-ci, des difficultés et des injustices qui vont avec, et des obsessions du moment. L'auteur est sans aucun doute un observateur incessant du monde qui l'entoure, et cela se sent dans sa façon d'écrire. Dans la même mouvance, l'âme de Thomas s'apaise au contact de la culture, et de la créativité, offrant une merveilleuse parabole de l'âme humaine et de son besoin de se confronter aux faiseurs de notes, d'images et de beau.
Quand le pivot du roman se présente, a savoir cette opportunité qui se présente en Russie, toute un pan du récit se gonfle de l'atroce processus universel de recrutement qui manque de sens, d'humanité et même d'objectivité. Il l'illustre à merveille par la rencontre entre la magique Nina avec qui l'entente est parfaite (et sous-entend clairement que le poste correspond totalement à notre héros) mais qui est fragilisée par Lavoix, qui incarne toute la bureaucratie crasse des services de ressources humaines. L'attente abrutissante pour avoir, ou non, la bonne nouvelle-qui ne sera qu'une porte vers un peu plus d'asservissement-est retranscrite à merveille, ainsi que la dichotomie entre Nina qui sait que Thomas est fait pour vivre en Russie, et le petit bonhomme pathétique qui va couper les ailes du personnage par simple soif de pouvoir.
Quand ce refus stupide claque à la joue de notre héros, le roman prend une tournure un peu magique, en caractérisant l'instant où, effectivement, la main de Thomas s'arrête de creuser, et où le sursaut de vie salvateur le pousse à aller au bout de ce projet quoiqu'il en coûte, ne fut-ce que pour retrouver l'envoûtante Nina.
Samuel Hervy est forcément un voyageur chevronné qui transmet par sa description inspirée et puissante l'état de grâce dans lequel partir ailleurs peut nous plonger. Le passage dans l'avion est un presque un tampon entre ce qu'il laisse derrière-l'étouffement-et ce qui l'attend plus loin-la liberté dans ce qu'elle a de meilleur, mais peut-être aussi de pire. La présence providentielle du passager irlandais qui l'encourage dans sa décision est un symbole puissant de l'impact que la bienveillance de parfaits étrangers peut avoir à un moment charnière. C'est aussi le cas de l'aide qu'il reçoit à la gare, et de ce message d'entraide désarmant de facilité qui a été oublié par l'humain et pourrait tout changer, pour tout le monde.
Il y a dans l'arrivée de Thomas en terres Russes quelque chose du parcours initiatique. Brusquement, tout reprend des couleurs : les paysages sont beaux, l'air est vivifiant, même la nourriture devient meilleure. Le lecteur perçoit totalement ce moment bouleversant dans la vie du personnage, et c'est presque comme si nous aussi, nous
Enfin, dans un parti ambitieux, Samuel Hervy décide de laisser le lecteur avec son imagination en concluant au moment où son existence tourne au presque conte de fées. Quelle audace, terminer sur un soupir de bonheur...!
Au final, un roman court et dense, puissant sans jamais être manichéen, et qui, plus qu'un appel à s'échapper et à partir loin, est surtout un appel à redevenir vivant.
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