PRIX DES AUTEURS INCONNUS 2024 / LITTERATURE BLANCHE : CORPS DE L'ÂME / STEPHANIE MANITTA
Un roman YA qui reprend les codes du genre et les transforme avec force et émotion pour en faire un récit tendre, poignant et original, qui parle de santé mentale avec délicatesse.
!! cette chronique contient des spoilers !!
LE RÉSUMÉ
A l'institut Joly, on prend soin de jeunes gens qui, dans leurs différences, ont tous un point commun : un mauvais départ dans la vie. Shawn arrive au centre persuadé que cet endroit atypique et bienveillant ne pourra rien pour lui, et que ces cicatrices qu'il s'acharne tant à cacher se devinent de toutes façon sur son visage. Au contact d'Alyssa, d'Angelika et de Kai, il va petit à petit, au gré des expériences heureuses et malheureuses, de l'apprentissage de la différence et de la ressemblance, grâce a une passion commune pour la musique, se laisser surprendre par la vie qui, dans toute sa violence, n'a peut-être pas encore joué sa dernière partition pour lui.
LA CHRONIQUE
Dès l'incipit, on constate que la lecture se fait immédiatement fluide, rapide, prenante et touchante. En se battant contre les clichés du genre Young Adult, Stephanie Manitta creuse ses personnages, ancre les situations dans le réel, elle prend le temps de créer chaque histoire et de les articuler pour qu'elles construisent l'arborescence sur lequel le roman va s'appuyer.
On notera le travail de recherche passionnant effectué par l'autrice, qui parvient à peindre un portrait impeccable de chaque pathologie relatée, en partant loin des stéréotypes élimés du genre. Elle a digéré et intégré les informations glanées, et parvient à les transmettre avec facilité au gré des situations. Ainsi, on parvient à apprendre à connaître nos protagonistes par leurs failles, dans une volonté claire de l'autrice de casser jugements et notions pré-conçues. Stephanie Manitta prend le lecteur par la main sans jamais l'infantiliser pour poser son contexte lourd, mais jamais pesant.
Le roman a l'intelligence de prendre le parti d'un groupe fixe de quelques personnages, donnant au lecteur l'occasion d'apprendre à vraiment les connaître et les aimer. Shawn a beau être le personnage principal, il n'éclipse pas les autres protagonistes dont l'histoire est parfaitement ancrée et creusée. L'amitié est ici présentée pour montrer qu'on ne se construit qu'avec les autres, dans l'apprentissage des limites et des possibilités. Il faut aussi souligner la très grande bienveillance, presque forcenée, comme une profession de foi, de l'équipe soignante et de rééducation, qui laisse en filigrane le message universel de la gentillesse comme remède à beaucoup des failles de la société. Ici, pas de toxicité gratuite, pas de drame inutile pour le plaisir de voir des gens se disputer, la psychologie humaine est étudiée et respectée pour une expérience profonde et prenante.
Il apparaît très clair que l'autrice a à cœur de capturer une période longue, pour pouvoir illustrer l'absence de linéarité dans les axes de progression et de rémission, un thème important et trop peu représenté dans la littérature. Ici, les personnages ont aussi besoin de perdre un peu pied pour mesurer le chemin parcouru et réaliser que la maladie, et à plus forte raison, la maladie mentale, oblige les personnages à une bataille constante, parfois gratifiante, parfois épuisante, toujours exigeante. C'est un propos extrêmement important à véhiculer, pour casser définitivement les préjugés sur la santé mentale. Grâce à la délicatesse de son récit, l'autrice arrive sans peine à démonter ceux-ci les uns après les autres.
Axe essentiel de reconstruction, la musique joue un rôle prépondérant, presque un personnage à elle seule, dans le roman, pour créer le lien entre les adolescents, et leur permettre de trouver un exutoire à ces émotion parfois lourdes et contradictoires dont on ne sait pas toujours que faire. Stephanie Manitta compose son roman comme d'autres une partition, elle donne un poids émotionnel très important aux instruments qui prennent vie, et s'installent comme une extension de leurs âmes. La guitare de Shawn est presque une amie, le piano d'Alyssa est quasiment un journal intime, on sent tout l'amour de l'autrice pour cet art majeur et qui peut, littéralement, sauver des vies.
Le style de l'autrice est très riche, fluide, plein de poésie et de moments touchants, elle fait une peinture puissante des relations entre les gens, de celles à la guérison, à l'évolution, à la maturité aussi. On se fait happer très vite, et il est difficile de reposer l'ouvrage avant qu'il ne soit terminé. Une construction en puzzle, qui laisse le lecteur découvrir petit à petit les histoires sans les révéler d'un coup, permet de faire progresser l'intrigue de façon organique, par à-coups bien dosés. Quand arrive le mot "fin", on se surprend à laisser partir les personnages à contrecœur, et à ne pas réussir à totalement les abandonner, souvent signe d'une très belle expérience de lecture.
Pour conclure, voici un très beau roman YA, qui se charge de dépoussiérer les codes du genre pour leur donner un petit coup de neuf, de beau, de vibrant. Les pages regorgent d'émotion, les personnages brillent par leur humanité, les valeurs ici défendues sont belles et nécessaires, et on se prend à vouloir plus souvent que la littérature a destination de la jeunesse prenne ce parti bienveillant et rond.
LA NOTE
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