PRIX DES AUTEURS INCONNUS 2024 / LITTERATURE BLANCHE : LA VALISE / NATACHA LARMURIER
Une œuvre poignante, bouleversante, à la narration fluide et captivante, sur l'importance de ne jamais oublier le passé et de le transmettre pour éviter qu'il ne se reproduise.
!! cette chronique contient des spoilers !!
LE RÉSUMÉ
Quand Gabrielle fait la rencontre de Hannah dans le train en direction des vacances, une étincelle d'amitié brille immédiatement entre la jeune professeur d'histoire, et la vieille dame à l'étrange valise. Sans comprendre quel hasard s'est arrangé pour les réunir, elle découvre l'histoire bouleversante de cette petite fille séparée de force par des parents qui vont lui éviter la déportation en la confiant à des résistants qui vont prendre soin des enfants. De son côté, Esther réalise à la mort de son seul parent restant, son père adoré, que son histoire cache un très gros secret qui va la faire vaciller. A force de recherches, de retours dans le passé pour évoquer l'occupation et le régime de Vichy, et de liens du sang et du cœur qui se construisent malgré l'histoire, le récit révoltant des déportations organisées par la France se tisse, et avec, toutes ses victimes qu'il ne faut jamais oublier.
LA CHRONIQUE
Loin de se contenter de raconter seulement une histoire bouleversante, plus que jamais nécessaire de se rappeler, La Valise est un roman qui prend le parti de construire son récit autour de la transmission, et de trois destins qui paraissent d'abord opposés, avant de se rapprocher au fur et à mesure de l'avancée de la narration, qui happe le lecteur, et devient très vite si puissante qu'on ne peut reposer le livre avant d'avoir atteint la dernière page.
Grâce à une narration douce, claire et précise, on plonge dès le début dans l'histoire touchante de cette amitié entre une jeune femme, Gabrielle, et une vieille dame, Hannah, qui sont liées bien malgré elles par, d'un côté, une volonté farouche d'éduquer les jeunes esprits à la transmission du passé, et de l'autre, un vécu douloureux qu'il est impératif de communiquer. Ces personnages, bien qu'inventés par l'autrice, sont parfaitement construits, on y perçoit sans aucun doute l'immense travail de recherches historiques fournit afin de les rendre aussi réalistes que possible.
Quand le personnage d'Esther fait son apparition, elle permet de provoquer ce qui va ouvrir le roman vers les retours dans le passé, et le récit à partir de l'occupation française. Son histoire, très touchante, apparaît d'abord détachée de la ligne première, mais le lecteur va comprendre rapidement que tout est lié, et que l'autrice se permet ainsi de faire un portrait complexe et puissant de la déportation vers les camps d'internement des Milles, antichambre vers l'extermination. On suit alors l'histoire d'une enfant qui doit se reconstruire après le déchirement de l'éloignement forcé pour lui sauver la vie, et celle d'un nourrisson caché par ses parents et laissé aux bons soins des français qui, sans être tout à fait résistants encore, étaient révoltés mais impuissants contre les lois antisémites.
Ce roman est une totale réussite, grâce à ses très nombreux aspects observés et restitués dans la narration. C'est une capture de la bravoure qu'il faut pour résister, de la facilité avec laquelle les petites gens pouvaient collaborer, de la violence inouïe des politiques de Vichy, de la lâcheté humaine présente là où on y trouve le plus grand courage, du déchirement sidérant des séparations des familles, du poids du traumatisme, ainsi que des difficultés à se construire quand on a été confronté à l'horreur de façon répétée et totalement injuste. Jamais l'autrice ne donne dans la surenchère, elle laisse l'horreur inhérente à l'histoire, la petite dans la grande, retomber sur le cœur du lecteur et y faire peser toute l'ignominie, la honte, et l'immense peine de ces évènements.
Natacha Larmurier maîtrise son sujet sur le bout de la plume, et se permet d'y insérer ici et là des éléments visant à pousser à la réflection, voire à provoquer l'interrogation du lecteur sur les raisons qui ont pu amener un pays à massivement exterminer une partie de la population, et à y voir des parallèles inquiétants avec le présent. Par le personnage de Gabrielle, qui se bat avec ses moyens pour que la jeunesse prenne pleinement conscience de ce qui est arrivé, elle incarne ce témoin, cet avertissement, même, qui laisse comprendre que si on n'y porte pas attention, des évènements aussi graves peuvent arriver à nouveau.
En plus de la volonté de raconter la vie de deux de ces enfants qui ont étés sauvés du pire dont l'humanité est capable par des gens qui incarnent ce que l'humanité peut justement faire de plus beau, l'autrice propose une capture de la vie sous l'occupation, et des réalités de la résistance. Réduite au concept héroïque présenté dans les programmes d'histoire, on a tendance à oublier que derrière, des gens normaux, aux mœurs normaux étaient poussés à bout par des actes de propagande, par la peur, par les privations, et par la menace permanente venant de l'autre côté du Rhin. Par André, ce monsieur si simple et si humain, on perçoit ce qu'il faut pour être poussé à bout et décider de lutter, mais l'autrice capture aussi la figure de ceux qui n'ont rien fait sans nécessairement en faire des monstres. La très grande subtilité de l'autrice se lit partout dans ces passages.
Malgré la noirceur du propos, l'autrice parvient à y insuffler énormément d'espoir par de jolies histoires d'amour touchantes qui ont su fleurir au travers de l'horreur, par des actes d'amour purement gratuits, et par un lien exceptionnel qui va se créer entre tous ces personnages, bien plus connectés par cette fameuse valise qu'on ne pouvait initialement le penser. Au final, l'image de cet object est parfaitement utilisée, et laisse au lecteur une vraie impression de trait d'union chargé de symboles : c'est tour à tour un berceau, un point de repère, un soutien moral, une cachette, un symbole familial et le résumé de toute une vie.
S'il y avait à trouver un petit défaut à ce roman, ce serait peut-être dans les dialogues qui tendent à se ressembler, ne laissant que peu de distinctions entre les personnages qui s'expriment et réagissent de façon similaire, et le petit côté entendu de ce qui arrive entre Louis et Gabrielle, qui est clair pour le lecteur depuis le début. Mais ce ne sont que deux aspects mineurs, dans un roman globalement poignant et passionnant.
Dans l'ensemble, La Valise est une expérience de lecture riche, puissante, équilibrée dans sa narration, très bien construite et capable de générer des émotions qui peuvent couper le souffle du lecteur. A mettre entre toutes les mains pour nous rappeler à ce qu'on ne doit jamais laisser à nouveau arriver.
LA NOTE
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