PRIX DES AUTEURS INCONNUS 2024 / ROMANCE : UN RUBAN JAUNE DANS LES CHEVEUX / SERENA DAVIS ET MARY WHITE
Une romance touchante, inégale, qui traite de thèmes difficiles comme la charge mentale et le handicap, et se perd parfois dans des facilités narratives.
!! cette chronique contient des spoilers !!
LE RÉSUMÉ
Thomas tombe de très haut le soir où il rentre chez lui pour découvrir que sa femme, épuisée par une charge mentale colossale depuis la naissance de Chloé, petite fille atteinte de trisomie 21, a quitté le domicile conjugal, le laissant face à cette enfant spéciale dont il ne sait pas s'occuper. Il n'a pas le choix et doit prendre ses responsabilités, bousculant son quotidien. Envisager une histoire sentimentale semble désormais hors de portée, à moins que sa très jolie banquière, une jeune femme fragile au passé incertain, ne finisse par ravir le cœur de sa fille pour conquérir le sien...
LA CHRONIQUE
Doté d'une narration fluide, et d'une plume légère et agréable à lire, Un Ruban Jaune Dans Les Cheveux est un roman facile à aborder, et qui place très rapidement son intrigue en soulevant la délicate question de la charge mentale, plus marquée encore quand il y a un enfant différent. C'est ici le cas de la petite Chloé, atteinte de trisomie 21, un des personnages les plus adorables du roman. La petite fille est craquante avec ses grandes émotions, son énergie, et son amour qu'elle distribue généreusement et partout autour d'elle.
Traiter d'un thème aussi sérieux dans une romance est une prise de risque qu'il faut souligner, et les autrices ont à cœur de montrer que dans ses limitations, la petite Chloé incarne surtout une ode à la différence, inspirée par les témoignages de parents d'enfants nés avec un chromosome supplémentaire. L'enfant est solaire, elle fait le lien entre les personnages, son innocence ne laisse aucun cœur indifférent. Cependant, dans cette peinture positive de la pathologie de la petite, on peut noter qu'à trop normaliser l'enfant, les traits et les réalités de son quotidien sont gommés. Jamais elle n'est rejetée ou regardée de travers, ce qui, pourtant, est malheureusement une constante des parcours des hommes et des femmes frappées de cette maladie génétique. Chloé ne rencontre aucun problème d'intégration malgré ses retards de croissance, et jamais Thomas ne se confronte aux mots blessants des gens, sinon par un collègue de travail une seule fois. C'est aussi par la façon dont les communautés de patients et de famille réagissent à la bêtise et aux préjugés qu'on trouve la richesse d'une vision de la vie différente, et on peut regretter qu'ici, ces aspects manquent.
Les deux histoires en parallèle sont plaisantes à suivre, et plutôt bien construites. On perçoit rapidement les failles d'Emilie, dissimulées tant bien que mal sous un physique entretenu de façon quasi obsessionnelle, et qui trahit un problème d'image et de compréhension de qui elle est vraiment. Du côté de Thomas, la capture d'un père brusquement célibataire est efficace, même si on peut regretter que ses problèmes d'emplois du temps trouvent toujours des solutions presque immédiates, comme par exemple lorsqu'il décide d'improviser une virée à moto avec Emilie. Ses difficultés ne sont qu'à moitié traitées, comme lors de l'évocation de sa situation financière qui nécessite plusieurs rendez-vous avec Emilie sans pour autant qu'on ne perçoive jamais le fruit de ceux-ci, ni l'état de ses comptes, ni la façon dont le paiement des traites et des factures vont être gérées. Lorsqu'il envisage l'organisation d'un séjour romantique aussi, ces considérations ne sont jamais soulevées, malgré la somme conséquente que représente cette envie. Cela laisse l'impression que dans la construction narrative, des éléments ne sont que partiellement traités.
On peut reprocher à la romance de commencer tardivement, presque après un tiers de manuscrit, ce qui peut désarçonner le lecteur, confronté alors à une capture des quotidiens d'Emilie et de Thomas sans percevoir la jonction qu'il va y avoir entre les deux histoires. Lorsqu'elle arrive enfin, on garde l'impression que seule l'attirance physique joue, puisque les personnages n'échangent pas, ou très peu. Cet aspect permet de souligner la relation touchante entre Emilie et Chloé, une façon de conquérir le père en aimant la fille, mais de l'autre côté du miroir, on peine à trouver la racine de l'étincelle entre les deux personnages. Dans le même ordre, la visite à domicile d'une banquière, ainsi que la nuit passée seule endormie sur le canapé semblent forcés et assez peu réalistes, ce qui va un peu jalonner la suite de la relation entre les deux protagonistes. Difficile de comprendre comment Emilie peut s'occuper de Chloé quasiment dans le dos de son père, avec l'adhésion des grand-mères, même si la relation entre la jeune femme et la petite fille est touchante et jolie à suivre.
Un aspect curieux du roman tient en le nombre assez important de secrets de famille qui existent. Si l'A.V.C du frère de Thomas peut tenir la route, étant donné les relations entre eux, on soulignera l'incongruité de la dispute musclée des deux frères qui fait immédiatement suite à cette révélation, et au fait que celui-ci garde de lourdes séquelles. L'Alzheimer de la mère d'Emilie apparaît très clairement dès la première visite d'Emilie chez eux, et si il semble si clair au lecteur, difficile d'expliquer cette révélation finale, tout comme la décision première d'Emilie de partir si longtemps si loin de ses parents, visiblement très vieillissants et diminués, rendant les lignes de ce choix compliquées à accepter, pouvant alors dépeindre la jeune femme comme très égoïste. Enfin, l'histoire liée à son frère, bien que tout à fait réaliste, est amenée maladroitement, tout comme l'explication quant à la décision de ses parents de prétendre que Joao était handicapé alors que l'enfant n'était qu'hospitalisé. Si l'histoire n'est pas impossible à croire, elle est amenée sans approfondissements, sans lui laisser vraiment l'espace narratif nécessaire pour une charge émotionnelle suffisante.
Cependant, malgré ces détails narratifs qui manquent de clarté, la romance trouve tout de même un espace pour s'installer, avec de beaux instants sensuels, et de jolis moments très réussis. La relation entre les deux personnages fonctionne, et le biais de Chloé cimente cette fragile famille recomposée. Les passages où la jeune femme s'apaise au contact de l'enfant sont poignants, et le trait d'union entre elles par ce ruban est une jolie idée poétique.
Il faut néanmoins noter que certains éléments sont polarisants, comme par exemple la façon dont Thomas utilise sa fille pour pousser son père à continuer son traitement, se rapprochant d'un chantage émotionnel alors même que jamais Thomas ne semble se soucier de l'état de celui-ci, ou de ce qu'il traverse. La gravité de la situation de son père n'est pas vraiment considérée, quand il appelle sa mère à l'aide, rarement la situation est évoquée, laissant elle aussi l'impression que le jeune homme manifeste des traits égoïstes.
L'aspect surnaturel du roman est plutôt bien traité, réutilisant des codes de culture populaire pour installer l'apparition du spectre. Etant donné le passé de la jeune femme, et le fait que son univers repose sur des non-dits immenses, ces points dans la narration tiennent la route, tout comme l'abord sceptique général à celui ci. Sur bien des aspects, cela symbolise la hantise liée à la non-connaissance de ses racines, et comme le passé influe toujours sur le présent.
On appréciera la fin, très douce, qui parvient habilement à régler la question de l'ex-femme de Thomas, et si on peut regretter que Charlene ne retrouve pas sa fille qui a pourtant besoin d'elle, la présence lumineuse et maternelle d'Emilie parvient à compenser cet effet, qui pousse le lecteur à se questionner sur le sort de la mère biologique de l'enfant, et si abandonner Chloé est un acte qu'on peut pardonner.
Dans l'ensemble, malgré ces incohérences et ces éléments incertains, le roman se laisse lire et est tout de même agréable à parcourir. L'histoire tire son épingle du jeu grâce aux jolies plumes des autrices, au charme de l'enfant et du propos visant à souligner que dans les porteurs de trisomie 21, on trouve souvent les plus belles qualités humaines.
LA NOTE
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