PRIX DES AUTEURS INCONNUS 2024 / ROMANCE : SUR LE FIL DE NOS VIES / ANGELE FERRALA

     

Un roman inégal, qui a les qualités de ses défauts et vice-versa, mais se laisse lire grâce à une plume fluide et une volonté de raconter des jolies émotions.

 !! Cette chronique contient des spoilers !!

LE RÉSUMÉ

Mathilde, Eva et Alaïs se connaissent depuis toujours, et sont liées par une amitié qui semble indéfectible. Les certitudes de Mathilde sur cette relation qui lui est si précieuse vacillent quand elle aperçoit un jour, par hasard, Alaïs et un homme avec lequel elle ne devrait pas être. Aucun doute n'est possible dans l'esprit de la jeune femme, ils entretiennent une relation, et menacent l'équilibre du groupe, propulsant Mathilde dans la position de celle qui sait et qui ne peut rien dire. La vie étant pleine de surprises bonnes et mauvaises, Eva est contrainte d'affronter la grave maladie de sa mère pendant que son monde est en train d'imploser. 
Comment peuvent-elles préserver avec grâce ce qu'elles ont construit ? 

LA CHRONIQUE

Dès les premières pages, Sur Le Fil De Nos Vies s'impose comme un roman aisé et agréable à lire, grâce à une plume fluide qui s'appuie sur une narration de troisième personne doublée d'inserts qui ne sont pas sans rappeler le journal intime, et permettent de rentrer dans le cœur des personnages pour en saisir désirs et motivations. L'autrice esquisse par ces trois femmes un dessin qui peut sembler simple, mais devient complexe au fur et à mesure que les lignes de vies des protagonistes se croisent et s'emmêlent. 

Il y a un vrai soucis de capture aussi vibrante que possible des émotions des personnages, et des paradoxes moraux qui vont avec certaines situations. La part belle est faite aux choix de vie, à ce qu'on en fait, et aux conséquences qui vont forcément avec, et à l'exploration des liens entre les gens qui se cassent et se réparent, parfois dans les épreuves les plus dures. 

Le style général est armé d'une solide connaissance de la langue française, d'une certaine richesse dans le vocabulaire, mais manque régulièrement de variations. Il existe quelques répétitions, et l'utilisation des virgules est parfois hasardeuse, notamment dans les dialogues. Ceux-ci sont parfois frappés d'un manque de différenciation dans les voix et les façon de parler, et les incises ne sont pas systématiques, au risque de parfois perdre le lecteur. 

Les thèmes du roman, au delà de l'adultère et de la confiance perdue, sont profonds, et parfois engagés, comme sur la fin de vie, par exemple, en considérant les évènements d'un point de vue strictement humain. Angèle Ferrala se positionne du côté des gens, systématiquement, et soulève régulièrement des questionnements qui approchent la philosophie. C'est un roman qui appelle à réfléchir sur la vie, son sens, sa longueur, et sur les actions qu'on subit, et celles qu'on cause. 

Cependant, dans la progression de l'histoire, des soucis de cohérence se font sentir ici et là. Par exemple, lorsque Julie fugue, le manque d'implication des forces de police pose problème, tout comme le flou légal qui entoure ces adultes qui aident la jeune femme, alors qu'elle n'a que treize ans et que ses parents la cherchent activement. Dans un manuscrit contemporain, et même si ces passages sont utiles au dénouement, il est nécessaire de poser un contexte réaliste, et qui ne va pas provoquer chez le lecteur un questionnement sur la construction de cette intrigue. 

Dans le même esprit, certaines décisions prises par les personnages peuvent interpeler, tout comme les jugements qu'ils apposent les uns aux autres. L'absence première de remords d'Alaïs, quand on ne connaît pas encore l'identité de son amant, pose question, et le lecteur va alors difficilement lui trouver des excuses, ou à comprendre ce qui la pousse à agir de la façon dont elle le fait. Certains personnages peinent aussi à trouver une voix propre, par exemple Baptiste, qui se range systématique à l'avis et l'opinion de sa femme dans les conversations qu'ils échangent, et dont les tentatives d'expression d'un avis différent tombent régulièrement à l'eau. 

Régulièrement, les réactions de l'entourage d'Eva alors même qu'elle décrit le calvaire de sa mère, et l'éventualité de plus en plus inéluctable que celle-ci n'ait que peu de temps à vivre, peuvent paraître très froides, voire méchantes, ne laissant que peu d'espace à la jeune femme pour se sentir comprise, et générant dans l'esprit du lecteur une potentielle frustration quant au traitement réservé à ce personnage. Elle est au centre de toutes les épreuves, et son entourage ne fait pas vraiment preuve de l'écoute qu'elle est en droit d'attendre. La nuance dans le traitement des personnages est régulièrement très marquée. 

Il y a, dans la première partie du roman, une peinture assez efficace et implacable de la charge mentale des femmes modernes, et une peinture forte du poids qu'être le pilier d'un foyer représente dans l'esprit d'une mère de famille. Sans vraiment oser polémiquer sur le sujet, le polaroïd capté par l'autrice de ces situations est efficace et pousse à la réflexion. Le propos est parfaitement illustré et décrit, et il est difficile de ne pas comprendre les implications de ces rôles pré-fabriqués par la société sur les personnages. Sans extrapoler, il est tout à fait envisageable que des femmes dans la situation d'Eva, à la lecture du roman, prennent conscience de l'injustice de ce qu'elles vivent, et c'est à porter au crédit de l'autrice. 

La cohérence globale, même si le roman se tient plutôt très bien et reste assez solidement construit, pose parfois quelques soucis, surtout dans la dernière partie, après le retour de Julie. Pourquoi donc le père biologique de l'adolescente devrait-il porter secours à Maxime après l'accident ? Comment le mensonge qui entoure son identité a-t-il pu durer aussi longtemps ? 

Cependant, ces éléments ne sont que structurels, et sont contre-balancés par une forte charge émotionnelle, et des moments de bravoure et d'échanges entre les personnages qui sauront sans aucun doute toucher le lecteur. Il y a une forme de satisfaction générale dans les opportunités que la plupart des protagonistes auront d'exposer malaise, douleur, colère et peine. 

Sur Le Fil De Nos Vie est, dans sa globalité, un joli roman touchant, imparfait mais sincère, et qui fait la part belle à des émotions riches et puissantes, pour une lecture aisée et plutôt agréable. 

LA NOTE 






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