PARTENARIAT SAISON 2023-2024 : QUAND JE RESPIRE, TOME 3 / ELISA ALBERTE
Un troisième tome fort, poignant et palpitant, qui se place comme le plus beau roman d'une série qui élève le slow-burn à l'échelle d'art
Forcée de quitter son New York adoré pour Brenton, au fin fond de la campagne, Luna commence à envisager sa vie ici, où tout est à échelle humaine et où son entourage lui est précieux, bien plus qu'elle ne l'aurait imaginé. Sa relation avec Théo, qui construit sa vie sans vraiment se soucier d'elle, commence à sérieusement en pâtir, mais est-ce une si mauvaise chose quand les liens avec Ben, le distant Ben, le torturé Ben, le malheureux Ben commencent à retrouver la force d'antan ? Coincé sous l'influence de son alcoolique de père, le jeune homme arrive à la terrible conclusion que si Luna a trouvé ses repères ici, il va peut-être devoir emmener les siens loin de tout, et surtout, loin d'elle...
Après trois tome de cette saga puissante, il est aisé de conclure que la plume d'Elisa est riche de nombreuses qualités, mais s'il y en a une qui prédomine, c'est bien son incroyable capacité à installer et à alimenter un slow burn hors du commun, qui prend le temps nécessaire pour poser ses bases et entortiller ses lignes et ses mots autour du cœur du lecteur. Si le premier tome façonne la bougie narrative, et le deuxième en tire la mèche, celui-ci y met un feu passionné et captivant, et le roman se dévore d'une traite.
La première thématique qui marque ce volet, probablement le plus abouti de la série jusque-là, c'est le coming of age typique des romans Young Adults, et qui marque aussi un gain soudain de maturité pour Luna, qui traverse ici des épreuves qui la poussent à la résilience et à tester les limites de qui elle est. En quittant New York qui, malgré sa taille, représentait une forme de cocon anonyme pour elle, dans lequel elle n'avait pas besoin de prendre de vrais risques émotionnels, elle pensait que le point central de sa vie tournerait autour de son obsession de revenir dans la Grande Pomme. On comprend, au fur et à mesure, que New York n'a jamais été celle qu'il fallait à la jeune femme, tant son épanouissement est total à Brenton. Reprenant des thèmes du premier tome, où Elisa soulevait la question des choix de vie en ville contre ceux, vraisemblablement plus limités, des enfants de la campagne, elle arrive finalement à la conclusion opposée : en changeant complètement de mode de vie, Luna fait des choix qui sont en adéquation avec qui elle est vraiment.
Un autre aspect très bien examiné, et plein de subtilités qu'on ne trouve que très peu ailleurs, est la question du consentement, qu'il soit dans la volonté d'une relation, ou dans l'envie d'avoir des rapports physiques avec un partenaire de long terme. Elisa avait soulevé la question des violences sexuelles dans le premier tome, et ici, elle donne le pouvoir à Luna qui ne se laisse jamais impressionner. Elle véhicule un message ultra-positif et terriblement féministe qui pourrait encourager les jeunes femmes de tous bords à ne jamais se laisser enfermer dans l'image que les hommes peuvent avoir de nous. Cependant, ce propos n'est pas sous forme de revendication, mais est plutôt observé de façon interne, en questionnant ce que le comportement de certains provoque comme bouleversements chez elle, la poussant souvent à prendre du recul pour ne pas tirer de jugements trop hâtifs. Dans la même mouvance, une part belle est faite à la possibilité de la rédemption quand on s'est mal comporté, et à la capacité humaine à comprendre les erreurs qui ont pu être faites et les jugements de mauvaise qualité.
Quand Je Respire est, naturellement, une romance, mais c'est aussi l'histoire de Ben, qui, coincé dans une vie qu'il n'a pas forcément choisi, subi les choix et les erreurs de ses parents, d'abord par le départ de sa mère qui fait la jointure entre tome 2 et 3, mais surtout par le comportement ordurier de son père qui, petit à petit, réduit son espace vital comme peau de chagrin. Une fois encore avec subtilité et nuance, Elisa Alberte examine les conséquences qu'un père violent et alcoolique peut avoir sur la construction psychologique de Ben, et parfois, se traduisent par une reproduction de ces façons de faire et d'être qui se ressentent parfois dans le comportement ultra-protecteur qu'il a envers Luna. Ici et là, on sent la lutte interne chez ce personnage fragile pour ne jamais franchir la ligne rouge, et qu'Elisa se permette de tant s'en rapprocher sans jamais perdre l'amour du lecteur pour Ben est révélateur de son talent et de tous les petits diamants cachés dans cette plume belle et fluide.
Naturellement, Quand Je Respire est avant tout une romance, mais elle est aussi tellement plus. C'est une peinture impeccable de la psychologie d'une jeune femme de son temps, qui parvient à jongler entre sa vie de famille, ses obligations à la ferme, son emploi et ses rêves, ainsi que ses sentiments fluctuants, mais surtout le portrait d'une héroïne qui s'éloigne de la plupart des courants du moment en privilégiant une protagoniste bienveillante, généreuse, réfléchie sans jamais être stupide ou naïve. Elle fait ces choix qui tiennent parfois du sacrifice, mais elle les fait toujours en connaissance de cause, en mesurant parfaitement le bien et le mal qui entoure ceux qu'elle aime, et quand elle décide de donner sa confiance, son cœur, ses espoirs, elle le fait avec une abnégation ancrée dans la réalité. A l'heure des ventes record de Dark Romances aux personnages habités par l'envie de faire du mal, il y a ici une si belle représentation de ce qu'avoir le cœur à la bonne place veut vraiment dire.
Elisa est une femme avec une idée très précise de la façon dont elle veut construire un lien avec ses lecteurs, et cette maîtrise absolue du slow burn en est une belle expression. Elle pourrait se concentrer sur une multitudes de récits, mais on sent chez l'autrice un vrai besoin de laisser les émotions et les personnages prendre plus de place que sur trois ou quatre cent pages. Grand bien lui fasse, parce que ce soucis de poser des fondations solides et développées sert de préliminaires délicieux pour cet opus qui vient couronner presque toutes nos attentes sans jamais tomber dans la facilité. Le scénario se complique, les émotions se densifient, les engagements sont plus compliqués à tenir, et Luna se confronte de plus en plus aux comportements égoïstes de son entourage, notamment en la personne de Théo qui passe du rang de petit ami obstacle à celui de personnage antagoniste, qui refuse d'être jugé pour les choix égoïste qu'il fait mais n'hésitera pas à le faire envers Luna, quitte à être violent. Sans être un vrai méchant, il incarne à merveille la relation immature liée quand Luna était encore une adolescente à peine adulte qui s'étiole d'elle-même quand celle-ci grandit et pose un regard différent sur la vie.
Il était essentiel d'observer toutes les strates que contient cette série de romans riche et poignante, il est cependant évident que le thème premier est la romance, et elle est traitée avec délicatesse et sensibilité, sans jamais être ni trop lente, ni mal calibrée, ni stéréotypée. Si dans les deux premiers tomes Elisa s'est laissé le luxe de pouvoir poser les situations et les émotions en leur accordant le plus d'espace possible pour les laisser prendre un plein envol, ici, elle récolte les fruits de ce slow burn qui a allumé des milliers de petites bougies annexes et transforme l'expérience du lecteur en quelque chose d'unique, de poignant et parfois même bouleversant.
Le roman peut être divisé en deux parties, en ce sens : la fin de la pose de toutes ces petites loupiottes dont on se languit l'allumage, et d'un coup, sans préavis, Elisa dégaine un briquet taille géant des Flandres et on se retrouve à inhaler les dernières deux cent pages plutôt que simplement les lire. Impossible de décrocher jusqu'aux toutes dernières lignes avant la fin, qui promet une suite sans infliger un trop grand cliffhanger. Gageons qu'Elisa, consciente de l'effet de sa prose, a préféré éviter que ses lectrices ne tombent comme des mouches après ce qu'elle nous inflige dans la deuxième moitié du récit.
On pourra noter dans cet opus la liberté que prend l'autrice, qui se risque à pousser les personnages dans leurs retranchements, qui donne sans tout céder, et embrasse le parti de ne pas aller là où on l'attend. Elle explore ainsi une situation passionnante, qui, sans trop en dire, met dos à dos Luna et Ben dont les destins ne sont pas seulement croisés, mais aussi miroirs. On soupire, on tremble, on pleure (beaucoup), on virevolte non-stop au gré des mots d'Elisa, dont la plume est de plus en plus percutante et efficace au fut et à mesure qu'elle teste les limites de son propre territoire et sait jouer avec les pauvres cœurs de ses lecteurs. Elle sait y faire...Et on en redemande !
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