PARTENARIAT SAISON 2023-2024 : QUAND JE RESPIRE, TOME 2 / ELISA ALBERTE
Un second tome dans la parfaite lancée du premier, délicat, riche et captivant, qui s'aventure dans les joies et les peines du passage à l'age adulte et de ses désillusions.
Le pitch :
Dans l'Iowa, la vie suit son cours pour Luna, totalement intégrée à l'exploitation de ses grands parents. A l'aube de la majorité, elle se retrouve tiraillée entre cette existence paisible et son envie de retrouver la palpitante vie New-Yorkaise laissée derrière elle. Maintenant que l'armure de Benjamin est tombée, elle tisse à nouveau de solides liens d'amitié avec le jeune homme qui veille sur elle sans jamais piétiner les plates-bandes de Théo qui se montre de plus en plus distant. Les efforts de Luna pour reprendre sa vie là où elle s'était arrêtée commencent enfin à payer, mais la jeune femme fait face à un constat déchirant : elle a mis beaucoup d'elle à Brenton, elle y a trouvé une famille de cœur et un confident avec lequel elle a des conversations qu'elle n'a plus avec son petit-ami.
Si Luna laisse son empreinte à Brenton, la ville laisse la sienne en elle aussi.
Et si laisser les vastes plaines du Middle West derrière elle s'avérait mille fois plus dur que ce qu'elle avait anticipé ?
La chronique :
Dans l'écriture d'une trilogie, le second tome est souvent le ventre mou de l'histoire, entre la richesse du premier tome qui plante le décors, et l'excitation du dernier qui résout les situations. Parvenir à signer une suite aussi brillante et captivante est un tour de force qu'Elisa réussit avec une facilité déconcertante, en reprenant les codes qui font la force de la saga tout en les nuançant avec subtilité.
En quelques lignes, le travail de reconnexion est fait. Sans s'appesantir sur la futilité d'un long résumé du premier tome, Elisa Alberte a l'intelligence de connaître très bien ses lecteurs et de replanter rapidement le décors via les plus grandes forces de son univers : Luna, Ben, la nature. Elle se sert d'une scène touchante pour gommer un petit peu les traits durs de Benjamin, et révéler un axe en forme de fil rouge qui va explorer l'amitié entre les deux jeunes adultes. Ce début de tome propose un moment charnière, très fort en émotions, qui donne à Benjamin l'opportunité de sortir habillement de ce portrait un peu rustre du premier roman, et de laisser le lecteur, déjà acquis à sa cause, tomber totalement sous les charmes du jeune homme.
Le roman est saisonnier, et si le premier couvrait l'été et l'automne de tous les changements, celui-ci s'empare de l'hiver et du printemps de la maturité. Prouvant qu'elle est décidément plus liée à la nature qu'elle ne le pense, les états d'âmes de notre protagoniste sont en miroir avec le climat. Si la rudesse de l'hiver met en lumière la chaleur ressentie à la proximité de ses proches et la bienveillance tendre de ceux-ci, le printemps et son renouveau poussent la jeune femme vers un regard différent sur ce futur qu'elle prépare pourtant avec courage.
Elisa fait aussi appel à une forme de mémoire sensorielle en décrivant la période hivernale, en absorbant les paysages de petites villes illuminées, la joie des grandes tablées généreuses, l'allégresse des jeux dans la neige. La cérémonie des lumières représente presque à elle seule un pitch de film de Noël à regarder sous un plaid, avec un chocolat chaud. Quelque chose de très cozy ressort de ces chapitres.
Fidèle au portrait brossé d'elle dans le premier tome, Luna est une jeune femme posée, réfléchie, et qui ne se cache pas de ses propres émotions. Et ici, elles deviennent plus nuancées, plus paradoxales aussi, elles dessinent une réalité que Luna n'avait peut-être pas envisagé en premier lieu : son futur tout tracé dans la grande pomme apparaît de moins en moins clairement, et l'influence paisible et bienveillante de Brenton coule désormais aussi dans ses veines.
Sans jamais tomber dans les clichés de la dualité vie citadine / vie paysanne, Luna se retrouve confrontée ici aux jugements des habitants de la capitale américaine et aux idées préconçues que la jeunesse dorée s'en fait. Elisa parvient à englober la dichotomie de Luna qui ne tolère plus les commentaires empoisonnés sur sa ville d'adoption, mais accepte aussi que les deux mondes soient opposés. Ces éléments dessinent le déchirement interne de la jeune femme, qui, en deux voyages express dans les deux plus grandes métropoles du pays, voit ses belles certitudes se fragiliser. Dans la même nuance, Elisa Alberte parvient tout à fait à soulever la question de la destinée des enfants qui naissent dans l'exploitation, et de leur véritable libre-arbitre quant à un futur loin de la campagne. Sans juger, elle présente les vérités dans leur dureté, mais aussi dans leur beauté. On peut vivre heureux sans avoir eu le choix sa vie comme on le ferait dans la grande ville, et ce bonheur-ci n'est pas moins puissant que celui des étudiants de la grande pomme ou de Hollywood boulevard.
Engoncée dans son projet initial qu'elle voit se déliter sous ses yeux par les choix égoïstes de Théo et son attachement grandissant à l'Iowa, il y a quelque chose de profondément touchant à voir Luna s'accrocher de toutes ses forces à quelque chose qu'elle sait ne plus exister dans les lignes rêvées, dans une parabole presque parfaite du passage à l'age adulte et des désillusions qui vont avec. Elle s'obstine sans vraiment se mentir, tente de se préparer à un changement de plan sans pour autant renoncer, et dans cet espace nuancé où il est si difficile de faire un choix qui sera tout à fait le bon, elle traverse des épreuves et des joies qui sont en train de la changer profondément.
Ce tome est aussi celui des premières fois : découverte de l'ivresse, des disputes avec Théo, des catastrophes climatiques, des drames peuvent arriver à tout instant dans la ferme...Luna comprend que les rites de passage au fin fond de l'Iowa et ceux qu'elle aurait pu connaître à New York ne sont pas similaires, et cela provoque chez notre protagoniste une prise de conscience de l'inégalité profonde des chances selon que l'on naît citadin ou paysan. Cependant, une fois encore, Elisa y insuffle toute sa maîtrise et sa délicatesse, et les réponses ne sont pas unilatérales. Quand elle considère la vie que Benjamin aurait pu avoir en ville, elle admet qu'il aurait pu exercer le métier de ses rêves, mais elle considère tout autant la liberté salvatrice qui a façonné le caractère du jeune homme, et l'importance de la famille de cœur qu'il possède à Brenton. On sent dans le cœur de la jeune femme la frustration de ne pouvoir vivre ces deux vies en même temps.
Elisa parvient à merveille à saisir les détails d'une relation qui s'étiole, et qui est presque condamnée par avance. Malgré les efforts fournis de Luna, Théo s'éloigne petit à petit, et l'héroïne se retrouve dans l'inconfort des conversations tendues, des disputes à distance, et des crises de jalousie qui se terminent dans des non-dits. C'est d'autant plus saisissant qu'elle et Benjamin ont des vraies conversations sur la nature des relations amoureuses, et sur la vision qu'ils partagent, ou au contraire qui les éloigne, de ce que c'est qu'être en couple. C'est un axe important qui illustre l'évolution des personnages, et la façon dont la vie se charge de transformer les illusions en rêves ou en réalités.
Dans cet examen qui montre la relation de Luna et Theo qui perd de sa superbe, on prend aussi connaissance de la nouvelle compagne de Benjamin, et, contrairement à sa petite amie possessive dans le premier tome, celle-ci est écrite avec une vraie volonté de ne pas en faire un antagonisme, ce qui est immensément appréciable. Au lieu d'insulter le lecteur en créant un personnage facile à détester, Elisa Alberte prend la liberté courageuse de faire d'Arielle une jeune femme douce, tendre, gentille et généreuse, poussant le lecteur à se questionner en profondeur sur ses attentes quant à la romance-ou son absence ?
Les relations entre Ben et Luna deviennent ici une étoile à plusieurs branches. Benjamin veille sur elle, Luna prend soin de lui, ils travaillent ensemble, ils redécouvrent des joies toutes simples en riant dans la neige, ils recommencent à tisser le lien brisé de leur enfance, ils évoluent dans le même monde avec des attentes différentes...L'autrice façonne la relation entre les deux personnage à la manière d'un joaillier, et petit à petit, la pierre brute devient un petit bijou.
Naturellement, et malgré la présence d'Arielle, on est dans le cœur même d'un slow burn dont l'agonie est exquise. Grâce à une vraie approche profonde et armée d'une réelle connaissance de la psychologie humaine, l'autrice dessine à la façon d'une aquarelle, petites touches par petites touches, un tout qui commence à prendre forme, en prenant dans la vie quotidienne et dans les épreuves les nuances et les couleurs qui vont en faire un tableau complet à l'issue du dernier tome. Il y a une démarche volontaire de la part d'Elisa dans cette construction lente de délicieuse, et dans le constat presque amoureux des petits cours d'eaux qui feront un jour de grandes rivières.
Enfin, comment ne pas louer la façon dont Elisa gère le rythme de ce tome. Si le premier avant besoin de l'espace du décollage, celui-ci est un vol plein de turbulences et de chutes libres qui font sursauter le cœur du lecteur. Attachez vos ceintures, le voyage ne se fera pas sans grandes émotions.
Pour conclure, voici un tome parfait, qui sait garder l'empreinte du roman originel, sans se répéter, et installe ses propres codes et ses trésors grâce à la plume de l'autrice qui est fluide et porteuse de tellement de belles choses. Vite, vite, vite...La suite !
La note :
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