PARTENARIAT SAISON 2023-2024 : Quand Je Respire, tome 1 / Elisa Alberte

Une grande et belle bouffée d'air frais littéraire, au coeur d'une histoire profondément humaine, touchante et tendre. 


Le résumé:

Luna, étudiante New-Yorkaise en architecture, est une jeune femme qui a sa vie parfaitement en main. Amoureuse de sa ville, passionnée par ses études, et en relation avec Théo, son avenir est tout tracé, et elle s’apprête à passer un été de rêve dans la grosse pomme.
La vie en a décidé autrement.
Un immense imprévu professionnel dans la vie de son père pousse la famille à déménager en Iowa, où se trouvent les grands parents de la jeune femme, qu’elle n’a plus vu depuis un départ précipité sept ans plus tôt.
Contrainte de retrouver ses marques dans un endroit qui ne lui est plus que partiellement familier, elle retrouve les copains de son enfance, qui, eux aussi, ont bien changé. Surtout Benjamin, son grand complice des étés passés dans les champs du Middle West. Devenu taciturne et renfermé, le jeune homme cache une histoire que Luna essaie de comprendre, tout en essayant de retrouver elle-même le chemin vers son futur.
Peut-elle concilier ses rêves, ses ambitions, ses amours et cette nouvelle vie ?
Les grands axes :
  • Une véritable ode à la nostalgie, au rapport à l'enfance, à la mémoire sensorielle et à la rupture entre ce qu'on s'en souvient et la réalité 
  • Un slow-burn étendu à un univers qui dépasse largement le cadre de la seule romance : Elisa Alberte prend le temps de laisser un espace aux lecteurs pour enregistrer et comprendre les situations et les émotions 
  • Un regard puissant sur la vie à la campagne, et sur la façon dont les gens qui ne l'ont jamais quitté sont aussi privés des choix et des opportunités de ceux vivant en ville. 
  • Un personnage principal qui ne renie aucune de ses émotions, tant positives que celles qui prennent leurs racines dans la colère ou le ressentiment. Luna est honnête sans jamais être blessante, sensible tout en gardant un vrai regard objectif, et elle est une battante qui ne donne pas de leçons. 
  • Une prise en main solide et poignante sur les rites de passages de l'age adulte, parfois exhilarants, parfois terrifiants. 
La chronique :

Inutile d'aborder Quand Je Respire comme on le ferait pour n'importe quel roman : celui-ci est unique, original, et attaque des sujets qui ne sont pas communs dans la littérature indépendante (et l'autre aussi, d'ailleurs). Ici, Elisa Alberte prend à bras le corps l'histoire d'une jeune femme que la vie a su gâter, et qui va être contrainte de changer de trajectoire pour des raisons qui lui sont totalement indépendantes. Citadine chevronnée, étudiante ambitieuse, et en couple, Luna est contrainte, du jour au lendemain, de laisser Théo derrière elle, d'abandonner son futur diplôme d'architecte, et, presque plus déstabilisant encore, elle troque la grosse pomme contre la verdure à perte de vue de l'Iowa. 

Elisa ne perd pas le moindre temps pour placer le contexte, en faisant ainsi un incipit d'une redoutable efficacité. Et ce n'est pas parce qu'elle survole les situations, bien au contraire, Elisa est du genre à prendre le temps pour bien ancrer les péripéties et ses personnages, mais ce début est rapide, puissant et précis. Même avec cet aspect privilégié de Luna, elle n'est jamais arrogante, ou un stéréotype digne de Gossip Girl. Au contraire, on comprend tout de suite qu'elle est consciente de sa situation, et à la seconde où le tapis se dérobe sous ses pieds, elle pose les rapports de force avec objectivité. 

C'est, d'ailleurs, un des aspects les plus épatants du roman : Luna, narratrice et coeur du récit, est capable de poser un regard parfaitement détaché même quand elle succombe à ses propres émotions. Elle possède une maturité émotionnelle rarissime, quand elle mesure les sacrifices des autres, quand elle envisage là où elle peut se rendre utile, mais aussi quand elle se sent en colère, lésée, mise de côté, voire ignorée. Elle a la capacité à se remettre sans cesse en question, et à poser les situations presque comme elle poserait une opération mathématique. Même quand ses émotions sont nébuleuses, difficiles et qu'elles prêtent à confusion, elle ne s'en contente pas. 

 Le récit possède d'immenses forces, et la première, c'est la captation ultra-réaliste de la vie à la campagne au travers des yeux d'une New-Yorkaise. Luna ne pose pas un regard condescendant sur les champs, ni sur l'exploitation de ses grands parents, et elle fait une peinture touchante, ancrée dans la réalité et profondément empathique de cet univers pourtant à l'opposé de ce qu'elle aime, et qu'elle sait lui convenir. Les descriptions sont vibrantes, picturales et pluri-sensorielles, au travers des images, des odeurs, du toucher, des goûts et des sons qui entourent la jeune femme, et si on ferme les yeux un instant, on peut parfaitement ressentir l'immensité des plaines du Middle West américain. Loin des clichés, Elisa a fait un travail de recherche spectaculaire pour rendre l'immersion totale. Mais elle ne se contente pas de cela, elle dépeint aussi les difficultés de la vie d'agriculteur, ses bonheurs, la connexion avec la nature et les animaux, et l'injustice qui entoure l'exploitation de la terre et condamne les gens à des vies parfois ingrates. Et ce n'est pas tout, Elisa prend le parti courageux de souligner la différence sociale qui tient à l'inégalité la plus absurde : celle des choix donnés aux citadins et impossibles pour les enfants de la campagne, agriculteurs de génération en génération et qui n'auront jamais la liberté de changer de vie. 

Sur le plan de la structure, le style de l'autrice est parfait. Elevé, parfois léger, parfois capable de faire peser la tension et l'inquiétude, très bien articulé, les champs lexicaux sont recherchés et puissants, et les dialogues sont fins et bien articulés. Le roman se lit vite, et le "A suivre" final tombe comme un couperet (et fera lâcher un "noooooooooonnnnn" desespéré au lecteur, c'est garanti). Le rythme alterne entre contemplation et action, et on ne s'ennuie pas une seule seconde. 

En filigrane, Elisa construit aussi un rapport conflictuel à la nostalgie, l'enfance et à Benjamin, cet ami si proche qui est devenu si distant, et dont l'histoire teintée de tragédie se révèle à Luna petit à petit, quitte à la pousser dans ses retranchements. Elle est sans cesse obligée de marcher sur des oeufs quand elle est proche du jeune homme, et elle doit faire le tri entre ses souvenirs d'enfance qu'elle a probablement idéalisés et la réalité, et surtout, il y a au coeur de sa quête de sens la question quant à ce qui a forcé ses parents à quitter brusquement l'Iowa du jour au lendemain sans se retourner. Au coeur d'une pelote de noeuds et de questionnements, Luna doit trouver d'elle-même les différentes vérités et les réalités de situations qui sont parfois bien plus noires qu'elle ne peut le concevoir. Confrontée à cette situation inconfortable, elle doit en plus tenter de remettre sa propre histoire sur les rails, qui sont d'abord entièrement tournés vers New York, puis, progressivement, le sont de moins en moins au fur et à mesure que se désagrègent ses points de repères. 

Luna est un personnage assez inspirant. Elle brille par son intelligence, mais aussi par sa résilience, son sens des responsabilités, et une détermination hors du commun, sans jamais écraser qui que ce soit, preuve que les personnages féminins forts et iconiques n'ont pas besoin de méchanceté pour appuyer leurs choix et leurs émotions. Que dire, sinon que cela fait du bien. 

Enfin, Elisa transforme ce roman en un "coming of age", ou plutôt, un "coming of second age". La vie de Luna était toute tracée, mais, assez vite, les épreuves qu'elle va rencontrer et sa façon des les envisager permet de se demander si cette voie était tout à fait la sienne, ou si, d'une certaine façon, elle aussi avait subi l'influence de ses parents. Elle était destinée à faire le même métier que son père-comme les agriculteurs-et à être parfaitement intégrée dans la grosse Pomme-comme les garçons qui sont intégrés en Iowa-et surtout, elle n'a pas son mot à dire quand les choses s'effondrent, et on ne lui laisse pas le choix de tenter quelque chose pour rester. Il y a une vraie mise en abîme de l'influence de l'environnement sur la façon de construire sa vie. Tous ces éléments profonds et qui servent à une réflexion générale sont introduits avec subtilité et délicatesse. 

Il y aurait tant à dire encore, mais pour résumer, voici un roman singulier, intense, prenant, intelligent et qui laisse une sérieuse envie de "reviens-y". A ne pas louper. 

La note :


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