Normalement, ce simple mot doit envoyer des frissons de pure terreur dans la moitié des colonnes vertébrales qui lisent ce blog : description. Vous êtes nombreux à me poser la même question quand je fais des retours de lecture alpha, bêta, ou quand je suis jury : si mes descriptions ne sont pas suffisantes, comment les améliorer ?
Gardons à l'esprit que je n'ai pas la science infuse. Tout ce que ce blog essaie de faire tient pour un tiers de mon expérience, pour un autre tiers de mes lectures, et un dernier tiers s'inspire de mon travail d'étudiante. Si je possédais toutes les clefs, ça se saurait...!
Cependant, il existe une méthode qui peut donner un sacré coup de main à tous les récalcitrants de la contemplation, les grévistes de la représentation, les fâchés de l'exposé.
Quelques petites vérités avant de commencer :
- Vous n'êtes pas seuls : pour beaucoup d'autaires, les descriptions sont l'équivalent d'une traversée du Grand Canyon sur un fil. C'est casse-gueule, incertain, on ne sait jamais comment doser, ni où est la limite du trop et du pas assez.
- Il n'existe pas de norme, ou de formule parfaite. Certains romans sont extraordinaires avec très peu de descriptions, alors que d'autres vont justement briller par leurs descriptions extensives et nombreuses. Rostand et Balzac sont deux de nos plus grands autaires classiques, et ils étaient plus que généreux en la matière...
- Il faut éviter à tout prix de les prendre en grippe. Si un retour de lecture souligne un soucis avec vos descriptions, ne partez pas du principe que c'est un manque effectif et permanent, et que vous ne serez jamais un autaire doué pour décrire. C'est faux. Elles peuvent même devenir agréables, voire passionnantes. Promis !
Et si une description était en fait l'extension de vos personnages ?
A force de ne la percevoir que comme un axe agaçant, voire une obligation grinçante, on peut oublier que c'est en fait tellement plus.
Dans une narration de première personne, les descriptions sont un axe de construction très solide de votre protagoniste. Un personnage déprimé verra les choses sous un angle négatif, une amoureuse aura tendance à arrondir les angles de façon positive, quelqu'un de malade aura du mal à envisager le monde autour, un politicien véreux dépeindra le monde sous ses obsessions, un chien percevra les éléments de façon détachée et simple...
Je joue avec vous, aujourd'hui. Prenons une situation basique. Notre personnage déjeune, seul(e), dans un jardin publique. Il y a des enfants et des chiens qui jouent, et nous sommes en Mai. C'est tour à tour une femme amoureuse, un homme déprimé, et un chien.
Un vent léger souffle sur mes joues et fait voler ma jupe. Entre les jeunes pousses sur les arbres, un rai de soleil encore timide tombe sur mon visage, et, profitant de ce délicieux instant, je ferme les yeux et apprécie la parfaite tiédeur du printemps. Il faut qu'on vienne tous les deux ici, goûter cette drôle de tranquillité malgré les cris enjoués des bambins qui glissent sur le toboggan en riant. L'endroit parfait pour un rendez-vous amoureux, sans aucun doute. Un labrador enthousiaste se mêle au groupe, ses aboiements colorent l'air autour de nous. Même mon habituelle salade composée achetée dans l'épicerie en bas de la maison devient presque délicieuse. Le riz n'est plus détrempé d'huile, les tomates sont authentiquement fondantes et juteuses, même les dès de jambon semblent savoureux. Est-ce le temps, ou mon coeur, qui rendent ce parc si agréable ce midi ?
===> l'utilisation des champs lexicaux de l'allégresse souligne la particularité de l'état amoureux, et tout devient presque dans une bulle. En plus de donner une image idéalisée du jardin public, cela permet de renforcer votre personnage et de la rendre facile à se représenter. On ne connaît ni sa couleur de cheveux, ni ses yeux, sa corpulence, sa couleur de peau...Mais on peut tout même s’en faire une image.
Foutu vent. Une mèche de cheveux bat sur mon front comme un bateau ivre. Le printemps, quelle arnaque. On nous vend une sorte de pré-été sans les idiots en maillots de bains et la chaleur, mais en définitive, ce n'est plutôt qu'un post-hiver. Je cuis dans ma veste qui ce matin me faisait grelotter, mais si je la retire, le pauvre rayon de soleil glacé ne suffit pas à être confortable. Comme si un banc dans ce minable carré de verdure pouvait être autre chose que rudimentaire...Même la salade hors de prix est insipide. Si seulement ces gamins et ce clébard pouvaient se taire. Mais comment peuvent-ils s'entendre ? Je vais chopper une migraine, en plus de la crève qui couve.
===> ici, en utilisant des champs lexicaux négatifs, et en poussant le trait de ce personnage qui n'a pas envie de voir la vie de façon rose et pétillante-et cela peut-être par pure misanthropie, parce qu'il est déprimé, malade, qu'il a été quitté, qu'il déteste son emploi, son colocataire, sa famille, parce qu'il est maltraité, harcelé...-on transforme le joli parc de l'amoureuse en un lieu oppressant et franchement pas attirant. C'est une arme qui sert votre récit, et qui va l'ancrer dans une sensation dont vous pouvez avoir besoin pour générer des reactions et des émotions chez votre lecteur. Par exemple, si ce personnage va être plongé au coeur d'un mystère, cette vision des choses peut axer votre narration pour la rendre plus noire, plus captivante aussi.
C'est le meilleur jour du monde.
Il y a plein de petits humains, et ils sont rigolos. Ils sentent super bon aussi. Ils sentent le pain au chocolat, maman me laisse pas les manger, mais je sais que c'est bon. Et les bonbons. J'aime bien, ça, les bonbons. Je les pique à mes petits humains à moi. Ils râlent, mais ils sont jamais très fâchés. Et moi je recommence à chaque fois.
Ceux là, je les connais pas. Ils sont petits. Petits petits. Et ils courent. Alors je cours aussi. Je les suis sur le truc qui glisse sous mes pattes. Ouh, ça fait peur. Mais ils tapent des mains. Alors je recommence. Moi j'aime pas trop mais eux ils aiment bien. Je suis un de ces petits humains quand je le vois.
Je m'arrête.
Il est là, dans les herbes et les fleurs blanches.
Mon ennemi.
L'écureuil.
Aujourd'hui, je l'attrape.
Je l'ai pas eu hier, ni le hier d'avant, mais là, c'est mon jour.
===> vous l'aurez compris, j'ai pris la narration canine au premier degré, mais c'est un chouette exercice pour bousculer les points de vue. Cela oblige à se mettre à hauteur de chien, et à penser comme un chien, et à revoir ses priorités pour absorber celles du chien. Et sans donner la race, vous permettez au lecteur d'imaginer quelque chose de concret : on sait que c'est un chien joueur, qui aime les enfants, qui recherche l'amour des enfants, et qui arrête toute activité pour un rongeur (c'est presque une référence culture pop !).
Dans le cas de la narration de troisième personne, les descriptions peuvent aussi absorber les tempéraments des personnages, mais elles vont teindre la totalité de votre narration. La construction de votre style va aussi se jouer là dessus (mais ça, on en reparlera plus tard, sur un Café Des Autaires spécial modes de narration).
Vous jouez aussi ?
Envie de tester l'exercice ? Un parc public, trois points de vue en narration de première personne : l'amoureuse, le râleur, le chien. Envoyez-moi vos textes sur EllexaHeartsBooks@gmail.com, et j'en ferai un post dédié à la fin du mois. Vous allez voir que c'est bien plus drôle et captivant qu'il n'y paraît...
Une clef de voûte de la construction de vos descriptions : décrire multi-sensoriel
Promis, c'est pas aussi tordu que ça en a l'air.
On a tendance, spontanément, à penser qu'une description se passe par la vue, et par ce qui est à hauteur d'yeux uniquement. Et ne vous méprenez pas : c'est capital.
Mais vous avez bien cinq sens-six pour certains d'entre nous-et il ne faut pas hésiter à les verser à vos écrits.
Je vais faire concret. Reprenons notre jardin public. A quoi ça ressemble, un jardin public standard ? Il y a des arbres, des fleurs, des bancs, de l'herbe, des jeux pour enfants, des enfants, des chiens, des gens, des mamans, des papas, des grands parents, des oncles, des tantes, des amoureux, des joggers, des vendeurs de glace, peut-être même un vendeur de presse, de boisson, un café ? Fermez les yeux, qu'y a-t-il d'autre dans ce jardin ? Un étang, une rivière, une source ? Des gens à vélo ? Des parterres de roses, de tulipes, de marguerites ?
Que se passe-t-il alors ? Les gens parlent. La rivière coule et glougoute (oui oui, elle glougloute). Le vent souffle dans les arbres. Les enfants crient, les chiens aboient, les oiseaux chantent, ici et là une abeille passe et produit ce petit "bzz" typique. Vous voyez où je veux en venir ? Le monde est bruyant. Tout produit un son, ou une absence de son, et cela en fait un axe puissant pour ancrer vos descriptions dans quelque chose de dense, précis et imagé.
Dans un jardin, on sent l'odeur de l'herbe coupée, celle des fleurs, celle du sable qui sert à couvrir les allées, celle de la terre meuble, celle de l'eau qui ruisselle sur les cailloux, celles des sanitaires rarement modèles de propreté, celle des poubelles quand il fait chaud, celle des déjections des animaux...On peut parfaitement illustrer un état mental en choisissant de décrire positif ou négatif. Vos descriptions sont un choix.
A moindre mesure, utilisez aussi le goût et le toucher. Bon, dans un jardin public, ne vous amusez pas à décrire le goût des fleurs ou celui du chien, sauf si vous visez un résultat absurde. Mais dans des scènes intimes, amoureuses, physiques, ce sont deux aspects qui créent des images en 3D dans l'esprit des lecteurs. La saveur d'une peau, ses aspérités, les plis, cicatrices, marques, la pilosité, la taille des pores...
Quand vous devez intégrer des éléments contemplatifs, ils peuvent et doivent être plus que cela. Et cela va passer par un travail d'insertion dans son propre univers. Devenez un témoin, un ami, un observateur, voire un accusateur le cas échéant. Transformez les éléments de contexte en une extension de votre récit. Cela demande un travail de projection-mais vous commencez à me connaître, c'est mon axe principal de création-mais cela va vous permettre de casser cette relation-parfois classique, parfois bâtie sur un abord traditionnel à la littérature telle qu'on nous l'apprend à l'école-à la description que certains d'entre nous subissent. Laissez-les devenir un jeu, un espace de liberté et d'expression en parfait accord avec vos personnages.
Vous verrez...Bientôt, vous le ferez sans même avoir à y penser.
Allez, z'avez bien mérité un p'tit cocktail après cette douloureuse épreuve. C'est ma tournée, profitez-en (avec modération, boire ou conduire il faut choisir, vous connaissez l'adage).
Commentaires
Enregistrer un commentaire