LE CAFÉ DES AUTAIRES : construire ses personnages, la méthode des bulles.






 En tant que lectrice/chroniqueuse/jury/ex-étudiante en écriture et en cinéma, il y a un certain nombre d'éléments dans un manuscrit de fiction qui vont me sauter au visage rapidement. Certains sont généraux, une fois le manuscrit lu dans sa totalité (lignes narratives, cohérence...). D'autres arrivent en cours de lecture (dialogues dynamiques et réalistes, voix indépendantes entre les personnages...). 


Et puis il y en a un qui est presque immédiat. Et qui est probablement un des plus importants d'un ouvrage de fiction...Les personnages. Ces fichus protagonistes à qui on donne une vie et une voix et qui deviennent très vite des fortes têtes qui prennent des décisions indépendantes en venant contrecarrer vos plans. 

Celui que vous aviez choisi de tuer et que vous n'arrivez pas à faire passer sous la lame de la grande faucheuse. Ces deux amis qui étaient supposés rester amis et qui pourraient vite devenir un peu plus. Ce méchant de l'histoire qui, en définitive, possède des qualités qui pourraient acheter sa rédemption. 

Ces caractéristiques sont des archétypes, et contrairement aux clichés, les archétypes sont nécessaires, voire obligatoires. Un archétype, c'est un grand modèle de personnage, alors qu'un cliché, c'est une mauvaise exploitation de ce modèle. 

Prenons l'exemple d'un personnage populaire et facile à identifier. Disons, Tintin. Il correspond à l'archétype du journaliste ambitieux et curieux, et ce serait facile de le faire tomber dans le stéréotype de la fouine sans scrupules. Et quand on observe factuellement le parcours de Tintin dans le travail d'Hergé, il se comporte comme une fouine: il passe plus de temps à se soucier des affaires des autres qu'aux siennes, tant et si bien qu'on ne sait jamais ce que fait vraiment Tintin dans la vie. Il n'est jamais confiné à son bureau pour écrire, et le journal qui l'emploie n'est quasiment pas mentionné. Et pourtant, le personnage fonctionne parce qu'il est profondément travaillé et construit. 

La construction d'un personnage est un rite de passage dans tout ouvrage de fiction, peu importe sa destination (roman, BD, comics, anime, séries TV, cinéma...) et il tient d'un art à lui seul. Certains ont la création de personnages inoubliables dans le sang et n'ont pas besoin de travail préparatoire...Et cela équivaut à toucher le gros lot. Jackpot absolu. 

Et puis il y a les autres, tous les autres, nous autres, pour qui construire un personnage va demander seize carnets noircis d'idées, un fichier entier de brouillons rangé honteusement dans un coin de l'ordinateur, et quelques centaines d'heures à se taper virtuellement la tête contre le mur. 

Il y a mille façons de tenter de percer le mystère de la création de personnages puissants. Et aucune de ces méthodes n'est garantie. Il y a autant de façons de créer une créature de papier qu'il y a d'autaires. 

Mais, il existe des pistes de travail. Elles vous coûteront généralement un petit peu cher (manuels disponibles en librairies), pas mal cher (cours à distance, masterclass) voire même très cher (formations, retraites d'écriture, cours individuels...). 

Et puis il y a moi. Experte ? Non, je suis trop faillible pour ça. Passionnée ? Certainement. Alors toutes les semaines, on va parler de petits trucs qui peuvent rendre ce processus aussi long que profondément fascinant un tout petit peu moins...Compliqué. 

LA METHODE DES BULLES 





La méthode des bulles (que vous pouvez personnaliser avec des cercles, des coeurs, des carrés, pas de cercle...) est la plus facile à utiliser, et elle utilise la mémoire visuelle, donc en plus, ça fait pas d'mal. 

Voilà. Prenez une feuille de papier (de préférence recyclé, hein, empreinte carbone et tout et tout) et un crayon (papier, stylo, feutre, couleur de votre choix, quelque chose avec lequel vous êtres confortable), voire la tablette et le stylet, et posez les choses comme je l'ai fait ici avec Obelix. Placez le prénom (et le nom, le cas échéant) du personnage en centre de page. Voilà. Vous l'avez bien en vue, et normalement, vous devriez ressentir une petite appréhension. Tête à tête avec un personnage monté de A à Z-même quand il ou elle ou eux découlent d'une inspiration réelle-ça revient aussi à se questionner quant à son futur, ses joies, ses peines...Et rien que ça, c'est déjà une étape capitale qui va donner une force immense à votre protagoniste. 

Mais revenons-en à nos bulles. 

L'idée, c'est de tirer une dizaine de flèches tout autour de votre personnage, jusqu'à une quinzaine si vous n'avez pas froid aux yeux. Ces flèches vont servir à capturer des caractéristiques globales de votre personnage AVANT le temps du roman. 

L'espace narratif que vous allez créer et développer est supposé faire évoluer votre personnage. Les évènements, les choix, les erreurs et les épreuves que votre protagoniste va rencontrer vont forcément le/la/les changer. En mieux, parfois, en moins bien peut-être aussi, tout le monde ne tend pas vers la fin heureuse et les personnages qui ont grandi. Donc techniquement, votre bulle de début de roman et votre bulle de fin de roman...Ne seront pas pareilles.

Les petites flèches qui vous toisent du haut de leur chapeau pointu demandent un travail de réflexion sur l'être de papier que vous venez de créer. Qu'est-ce qui fait que ce personnage est particulier ? Qu'est-ce qui définit votre protagoniste quand le roman commence ? 

Prenons un exemple simple : Winnie L'Ourson, le gentil ours orangé crée par Alan Alexander Milne en 1926, et adapté par les studios Disney pour devenir ce sympathique personnage. 

De prime abord, on ne pense pas à la construction de Winnie. Et pourtant, dès qu'on décortique un tout petit peu l'espace de vie dans lequel l'ourson existe avant les péripéties qui sont les siennes dans les oeuvres écrites et les films, on se rend compte assez rapidement qu'il a beaucoup de signes distinctifs qui le séparent de tous les autres oursons de littérature et, par exemple, de son homologue Paddington. 

C'est la preuve qu'il n'y a pas de personnage trop petit pour mériter d'être construit. Même Winnie est, en définitive, dans l'archétype du bon copain. 



Un peu plus complexe, notre ami Obelix, le sympathique personnage de Goscinny et Uderzo crée en 1959 dans les bandes dessinées qui ont ensuite donné la ribambelle de films et de dessins animés bien connus. Ici, la stature de base d'Obelix est celle qui définit une moitié du duo formé avec Astérix, mais cette dynamique n'occupe finalement que peu des caractéristiques du personnage. Obelix se définit aussi par son enfance, par sa stature, par sa tendance a trembler des nattes quand il croise Falbala...

Troisième et dernier exemple, cette fois emprunté à la culture pop des années 90 : Fox Mulder, le personnage masculin principal de la série X-Files, modèle d'écriture quand les séries étaient en petit nombre et leur budget conséquent. 

Quand on prend le pilote d'X-Files, et malgré le point de vue appuyé sur le personnage de Dana, l'existence de Fox démarre bien avant l'espace narratif de l'épisode. 

Alors, concrètement, comment utiliser cette technique dans les étapes de création de vos personnages ? 

Il faut impérativement que vos personnages possèdent une vie avant l'histoire que vous racontez. Et pas seulement dans les grandes lignes métier-coeur-famille, mais dans toutes les autres. 

Vous devez pouvoir, au bout de ces petites flèches, aligner les traits de votre personnage. Ses qualités. Ses défauts. Ses obsessions. La façon dont ils vont réagir face à une contrariété mineure, et face à une catastrophe personnelle majeure. Ce sont ces éléments qui vont propulser votre archétype en dehors de la zone de cliché. 



Allez, finissez votre café, c'est pour moi. Même heure, semaine prochaine ? 



Commentaires

  1. Et bien je ne fonctionne pas avec des bulles, mais j'ai mes petites fiches pour chacun de mes personnages, avec des caractéristiques précises, mais aussi des anecdotes de leur vie. Je tenterai les bulles, c'est plus visuel. Merci pour ce super article ☺️

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  2. Je dois avouer que comme jusque-là je n'écrivais que des récits courts je ne m'étais jamais penché à 100% sur le développement de tel ou tel personnage. Mais maintenant que j'ai un roman en cours, je pense voir pour cette méthode car je pars souvent dans tous les sens.

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  3. Merci pour cette technique que je ne connaissais pas.

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