CHRONIQUE : Carole Lavenant / Cher Maître (SIMPLEMENT PRO / BOOKFLUENCER)

Un roman riche, puissant, nuancé et poignant. Un petit bijou !



Cher Maître fait partie de ces romans qui ne paient pas de mine. Le résumé est intéressant, la couverture jolie, mais dès les premières pages, il est évident qu'on se retrouve face à un récit stupéfiant de beauté, de justesse, de force et de courage. Cher Maître capture la vie de famille-étendue, voire très étendue-de Tom, alors qu'il vient de s'engager en tant qu'avocat dans un procès qui vise à faire reconnaître les négligences d'un bootcamp américain qui a brisé la vie d'un jeune homme. Au delà des grandes lignes, la question de l'homophobie et des camps de conversion se pose. Même entouré par tous ces gens qu'il aime, Tom peut-il laisser ses émotions d'ancien pensionnaire d'un de ces camps prendre le dessus, au risque de perdre son procès ? Ou bien ces sentiments violents et ces souvenirs traumatisants ne peuvent-ils pas finalement aider le jeune avocat à briller pour son client ? Les qualités de Cher Maître sont nombreuses, et elles apparaissent très vite. Tout d'abord, par la façon délicate et élaborée dont Carole Lavenant façonne ses personnages. Ils sont nombreux (et l'arbre généalogique en addendum n'est pas de trop au début !)mais ce qui frappe toute de suite, ce sont les spécificités de tous. Personne ne se ressemble, chacun possède un florilège de traits, de qualités, de défauts, d'envies et d'appétences, de désirs et d'obsessions, jusqu'aux enfants, au chien et au chat qui savent parfaitement trouver une place et exprimer ressentis et émotions. Lucifer et Cosmo sont presque des personnages humains tant ils sont caractérisés, et tant leurs interactions avec le monde sont dignes de l'adage "il ne leur manque que la parole". Si on peine un petit peu à connecter tous les personnages entre eux dans l'incipit, le rythme prend naturellement et on replace les parents, les grands parents, les neveux et nièces et l'incroyable trio-pas-tout-à-fait-quatuor qui est le coeur du roman. Ces personnages ne sont pas seulement très bien construits, ils sont aussi capables d'évolution tout au long du roman, et de pivoter dans leurs croyances et leurs visions d'eux-même. L'intrigue est construite comme un bouquet de fleurs. Les roses centrales sont le procès et ses temps parfois meurtriers, parfois exhilarants, puis des fleurs supplémentaires viennent les complimenter-les histoires de la famille-et enfin, des herbes folles et des fougères terminent le tout-la façon dont tout le monde fait un peu partie de la vie de tout le monde. L'ensemble est une petite merveille qui embaume, envoûte et bouleverse. Tout est précis, soigneusement construit, Carole est une autrice rigoureuse, qui ne pose rien gratuitement. L'affaire dont Tom s'occupe est elle aussi menée tambours battant, avec une plongée vertigineuse dans les tragédies des salles d'audience, et dans l'injustice qui accompagne parfois la quête de justice. L'autrice pose les éléments avec précision sans jamais être ennuyeuse, donnant assez d'informations pour poser l'action et la comprendre même si on ne connaît rien à la loi et son application, mais on ne bascule jamais dans la démonstration. Le rythme est calculé pour maximiser l'impact émotionnel, jusqu'à la fin...Sans la ruiner, elle est particulièrement bien conçue. Les thèmes abordés, au delà de l'histoire de ce procès, sont lourds, mais jamais traités avec lourdeur. Carole a une façon de poser la diversité et le couple homosexuel principal comme une évidence, sans forcer les explications, sans les rendre illégitimes-ou légitimes seulement par la différence. Cependant, elle soulève avec délicatesse la question de l'homophobie sous toutes ses formes : ordinaire, dans la réaction parfois au bord du rejet de certains membres de la famille quant à la famille que Tom, Dan et Ben forme; routinière, dans les remarques acerbes que les amoureux reçoivent parfois dans la rue; institutionnelle, dans l'existence dénoncée de ces camps "ex-gay"; et enfin, internalisée, dans les peurs que ressentent les deux jeunes papas quant aux horreurs que Dan aura à affronter "à cause d'eux". Elle ne se contente pas d'une exploration rapide et superficielle, mais elle rentre dans les strates émotionnelles de l'aveu à soi-même, puis aux autres, puis au monde, puis à la parentalité. En capturant l'histoire d'un couple qui à fait appel à la GPA, Carole se permet une brise légère sur des débats stériles, et montre qu'avec un peu d'ouverture et beaucoup d'amour, l'image figée de la famille traditionnelle peut enfin s'ouvrir et laisser circuler un flot d'amour. Et que dire de cette histoire d'amour ! Sans jamais tomber dans la vulgarité, l'histoire entre Ben et Tom est aussi puissante que délicate, avec des moments d'intense sensualité suggérée mais qui fonctionnent parfaitement et laissent le lecteur avec des étoiles dans les yeux. Le couple que forme Ben et Tom est la figure de proue, mais les autres ne sont pas en reste, entre les relations explosives de créatifs qui ne se comprennent pas toujours et se déchirent, celles vieillissantes et pleines de tendresse des grand-parents, et les ponts d'amitié indestructible entre tous. Les liens sont très forts, même quand ils sont imparfaits, et Carole dépeint le véritable amour sous toutes ses formes, dans ses forces mais aussi dans ses faiblesses. Ce n'est pas la capture d'un idéal, mais bel et bien celui du réel. Et l'autrice le fait à merveille. L'humour est très présent aussi, par touches douces et tendres, et par la présence complice et enthousiaste de Cosmo et Lucifer, qui apportent tous les deux une empreinte (de patte !) rafraîchissante et drôle. Lucifer le chat est un joli porteur de non-dits, et souligne par ses mimiques et ses attitudes les moments de la narration. Il y aussi énormément de références pop culture américaine, particulièrement bien amenées, et toujours aussi pertinentes qu'efficaces. L'utilisation ludique du QR code pour étendre l'expérience au delà de la lecture est une idée vraiment fabuleuse. Il y a tant à dire de ce roman, que des centaines de milliers de caractères n'y suffiraient pas. Alors concluons sur un constat simple...Cher Maître est un petit bijou qui ne demande qu'à vous enchanter.

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