CAFÉ DES AUTAIRES : construire ses personnages, la méthode du journaliste
Continuons sur notre lancée sur la création, et le développement des personnages dans vos manuscrits.
Cette semaine, on va faire appel à votre petit inquisiteur (pas celui qui faisait flamber les femmes, l'autre) (non, pas Dolores Ombrage non plus) interne. La méthode du journaliste, ou, selon votre façon de penser, la méthode du détective. Attention, cela demande un petit peu d'imagination.
Prenez votre personnage en cours de roman. Peu importe quand, que ce soit deux pages après le début ou cinq avant la fin, choisissez un moment dans le temps narratif, celui que vous voulez. Vous l'avez ?
Option un : le journaliste. Vous invitez votre personnage à prendre un verre avec vous comme si vous vouliez écrire un article de presse sur sa vie.
Option deux : le détective. Un chouilla plus agressif, un rien plus vicieux, aussi. Aucun jugement ici. La fouine ou le loup, c'est une question de caractère.
Rien que cette démarche d'isoler votre personnage et de le/la/les soumettre à un questionnaire poussé va ajouter un vrai plus pour votre contenu narratif, puisque vous visualisez votre protagoniste comme une vraie personne qui peut se défendre, se justifier, et répondre à des interrogations venues d'une personne externe. Et de ce fait, quand vous allez les faire réagir, les faire parler, les faire aimer, détester, espérer, redouter, croire, tromper, penser, affirmer, se tromper, se battre, gagner, perdre, et tout le reste, spontanément, grâce à cet exercice a mi-chemin entre l'improvisation et la littérature, ils vont apparaître plus réels, plus vivants, plus ancrés dans la réalité narrative.
Vous l'avez ? Vous êtes entre 4 yeux avec votre personnage ? Alors allons-y.
Prenons trois exemples : une romance hétérosexuelle slow burn sur point de vue première personne féminin, un thriller policier avec serial killer sur point de vue troisième personne, et un roman de science-fiction avec exploration risquée d'une planète éloignée sur points de vues première personne multiples (et oui, je suis tout à fait consciente que ce sont trois immenses clichés, mais dans un esprit de massacre des clichés futurs je m'autorise une pile de stéréotypes maintenant).
Voici trois listes non-exhaustives d'exemples, selon les trois genres. A vous d'étendre le champ de l'interrogatoire, et d'y ajouter ce qui est cohérent pour votre récit. Il suffit par exemple de lire un livre, ou de regarder une série pour envisager des angles novateurs. La clef, c'est que plus vous questionnez votre sujet, plus vous le maitrisez, plus facile cette étape sera lors de l'écriture de votre roman.
Dans le cas de la romance (vous interrogez le personnage principal, une jeune femme trentenaire, au début de l'histoire) :
- Quand a-t-elle rencontré le personnage qui la met en émoi ?
- Quel jour ? Quel temps faisait-il ? Où l'a-t-elle vu pour la première fois ?
- Qu'est-ce qu'elle portait ? Qu'est-ce qu'elle faisait ?
- A qui parlait-elle ? A qui pensait-elle ?
- Quand se sont-ils rencontrés pour la seconde fois ? Et la fois suivante ?
- Ont-ils échangé des mots ? De quoi ont-ils parlé ?
- A-t-elle pensé à lui après ?
- Quels sont les éléments de l'enquête ?
- Que sait-il des éléments récurrents ? Pourquoi est-ce un serial killer ?
- Quels collègues travaillent sur l'enquête ? Existent-ils dans le roman ?
- A quoi ressemble sa vie privée ? Parvient-il a garder un équilibre, ou est-il entièrement obsédé par son métier ?
- Quel est le comportement de la hiérarchie ? Sont-ils honnêtes et parfaitement droits, ou y'a-t-il des cas de corruption ?
- A quoi ressemble la vie à bord du vaisseau ? Comment le décrivent-ils ? Quelles différences de perception pouvez-vous constater ?
- Que voient-ils quand ils vont dormir ?
- Que font-ils durant la journée ? Vont-il en sortie ?
- Comment est leur combinaison ? Quelle couleur ?
- Comment sont-ils habillés quand ils sont dans le vaisseau ?
- Ont-ils objectivement détecté une trace de vie ? Qui l'a détecté ? Comment en ont-ils parlé entre eux ?
Ici, le principe est bien entendu de questionner vos personnages sur toutes les émotions qui les traversent. Et là est une mission très délicate : plus vous allez vous pencher sur de toutes petites émotions, plus vous allez maîtriser tous les aspects de vos protagonistes, et plus cela va se sentir dans la totalité de votre manuscrit et créer cette fameuse cohérence qui fait râler tous les lecteurs, correcteurs, alpha et bêta, tous les SP, tous les comités de lecture...Si vos personnages sont fidèles à eux-mêmes, ils entraînent souvent avec eux des évènements qui tiennent le choc. Par exemple, vous allez vous rendre compte qu'une réaction de votre personnage ne vous semble pas faire sens par rapport à qui il/elle est, et ce changement va entraîner des évènements en chaîne, et, en définitive, renforcer la structure générale et l'effet sur les lecteurs. Votre plan initial sera contrecarré, certes, mais c'est aussi cela la force du travail d'autaire. Vos personnages commencent à devenir indépendants, à avoir un petit caractère propre, et soudainement, l'expression "prendre vie sur le papier" se charge d'un sens beaucoup plus lourd.
Si on observe les exemples précédents, les émotions des personnages correspondent au genre : pour la romance, la joie, la tristesse, l'affinité. Pour le thriller, la peur, le dégoût, la fatigue. Et enfin, pour la science-fiction, la peur, l'inquiétude, la confusion. Ces émotions sont attendues, elles font partie d'un tout propre au genre traité. Cependant, quand les personnages sortent des lignes classiques, ils gagnent en profondeur, en réalisme et en force, et ils signent leur unicité propre.
Quand on observe les gens, en général, ceux qui nous entourent, ceux qu'on aime, ceux qui nous agacent, ceux qui nous élèvent, et ceux qui nous dégradent, on se rend très rapidement compte que personne n'est soit tout blanc, soit tout noir. La plus douce, délicate, aimante et généreuse des femmes possède son cheptel de têtes de turcs, et la plus horrible, sèche, vicieuse et méchante des marâtres peut défendre une cause qui lui est chère. Bien sûr, nous détestons tous trouver des qualités à nos petits ennemis personnels, et pourtant, elles sont là. Le mal absolu-et a contrario, le bien asbolu-sont deux notions quasiment impossibles dans le monde dans lequel nous vivons. Vous ne ferez croire aux qualités de vos personnages qu'en les opposant à des défauts, et le bénéfice des émotions positives n'existe qu'opposé aux émotions négatives. C'est presque mathématique (un papier, un crayon, hop, combien font 16739585 divisés par 34, sans calculatrice ? Vous voyez bien qu'à côté, nos petites conversations avec vos personnages, elles sont pas si compliquées...)
Récapitulons : vous avez pris vos personnages en tenaille, vous les avez-plus ou moins délicatement-interrogés sans relâche, vous avez sondé leur capacité à raconter qui ils sont, à relater des faits, et à qualifier les émotions qu'un être hors du commun a inventé depuis la plus petite virgule : vous.
A partir de rien, vous avez crée un monde, des êtres capables d'exister, capables de susciter des réactions de la part de gens que vous ne connaissez pas, et capables de tisser des liens indéfectibles entre eux et avec nous.
La seule conséquence de cette méthode casse-tête ? Vous venez de comprendre, ou de réaliser à nouveau, que de posséder la capacité à écrire était le plus beau des pouvoirs.
Si on considère le monde tel qu'il est aujourd'hui, avec ses belles choses, et ses moins belles choses, force est de constater que la balance n'est objectivement pas forcément équilibrée, et qu'elle penche du côté le moins souhaitable. Et pourtant, ouvrir un livre, parcourir un autre monde, aimer et s'attacher-ou détester, c'est selon-à des personnages, vibrer, rire, pleurer, découvrir tout le spectre des émotions, des sensations, des apprentissages et des expériences humaines...Pas de doutes. Vous faites pencher la balance du bon côté.
Irish coffee pour tout le monde ? Je crois qu'on en a besoin.
P.S : ces méthodes ne sont pas destinées à tous. Certaines vous sembleront trop étranges, ou au contraire trop banales pour votre façon de travailler et d'écrire. Cependant, elles peuvent valoir le coup d'être essayées rien qu'une fois, ne fut-ce que pour se faire surprendre par ses propres projets.
P.S2 : si le personnage interrogé est un tueur, un serial killer, un fou furieux psychopathe, et que l'interrogatoire dérape, l'autrice de ce blog décline toute responsabilité et ne remboursera pas d'éventuels frais causés par des blessures physiques, psychologiques, ni même les frais d'obsèques le cas échéant.
*Ce message s'adresse à Anne-Sophie. Merci de ralentir sur les tentatives de meurtre par noyade lacrymale sur tes lecteurs. PARCE QUE BON HEIN LA FIN D'EBBSTONE ON EN PARLE ?
Commentaires
Enregistrer un commentaire