CHRONIQUE : LAURENT GRIMA / Une Vie Pour La Mienne (BOOKFLUENCER)

Roman divin à mettre entre toutes les mains.


Quand on découvre le résumé d'Une Vie Pour La Mienne, on peut craindre tomber dans l'écueil élimé d'un ouvrage sur la valeur de la vie et le poids du passé. C'est en fait tout l'opposé qui va caractériser l'histoire de Mathias, le récit profond et puissant d'un trentenaire coincé dans une petite vie sans éclat et qui va se retrouver précipité dans une situation hors du commun : après la chute d'une branche pendant son jogging, il est sur le seuil du paradis quand on lui apprend que sa mort est une erreur, et qu'il a le choix entre prendre quelqu'un à sa place, ou succomber. Le roman est l'histoire du délai qui lui est accordé pour choisir sa cible, et de toutes les blessures ouvertes qu'il va falloir affronter avant que le compte à rebours ne s'égraine totalement. Laurent Grima propose ici un roman façon mille-feuilles de chef pâtissier, délicat, délicieux, mais surtout, fort de plusieurs strates qui s'articulent parfaitement entre elles et donnent un petit goût merveilleux au récit. C'est l'histoire d'un homme ordinaire à qui il arrive quelque chose d'extraordinaire, mais c'est aussi l'histoire d'un fils un peu perdu, d'un ami un peu évanescent, d'un frère endeuillé, et surtout, celle d'un être humain confronté a l'humanité dans l'inhumanité, et vice versa. Ce point de départ propulse Mathias dans des trajectoires inattendues, et vers des rencontres bouleversantes. La première surprise de ce roman, c'est son style, extrêmement fluide tout en étant très imagé, très riche. Les champs lexicaux sont creusés et variés, et le tout se lit avec une vraie facilité sans jamais être simple. L'auteur nous prend par la main, nous montre son univers, et jamais ne nous trouve ni trop stupides ou trop malins pour lui, comme si son écriture était parfaitement dosée pour s'adresser à tout le monde. C'est l'écrin parfait pour raconter son protagoniste. Les personnages sont tous le fruit d'une construction très solide. Aucun cliché n'est à déplorer, aucune grande ligne classique, tout est fignolé, pour qu'ils soient tous originaux, indépendants, et qu'ils obéissent à leur propre voix et leur propre destin. Ce sont des individus uniques qui pourraient presque exister de façon indépendante, parallèle au récit, ce qui en fait leur plus grande richesse. Ils ne sont pas guidés par le besoin de faire avancer l'histoire, ce qui est une qualité rare. Personne n'est le faire-valoir de l'auteur. Les dialogues sont tous percutants, ils "sonnent" vrais, et avec les descriptions aux petits oignons de l'auteur, on se retrouve très vite avec un univers presque cinématographique tant il est réaliste et imagé. Tout ces éléments forment des fondements en béton armé, et rien que sur ces critères, le roman mérite d'être au centre de toutes les attentions. Mais c'est quelque chose qui échappe à cela qui en fait un récit époustouflant. Parce que Laurent Grima ne raconte pas seulement les errances d'un personnages, mais son ancrage au monde, et ses blessures les plus profondes. On examine l'humanité sous toutes ses coutures, avec une vision de la psychologie des relations humaines très fine. Laurent Grima parvient à capter les plus infimes des émotions et à les retranscrire avec brio. Difficile de pointer du doigt ce qui est le plus beau dans ce roman. Est-ce la fragilité des âmes rencontrées ? Leur envie profonde de faire mieux, de vivre mieux, d'être présents jusqu'au bout ? La façon dont Mathias est plus qu'une simple pièce de puzzle facile à remplacer, mais qu'il est le pivot qui va transformer le monde autour de lui ? Et puis, cerise sur le gâteau, il est aussi question de l'histoire en parallèle du petit frère de Mathias, racontée progressivement, sans être idéale, sans arrondir les angles d'une maternité imparfaite, sans ignorer les rivalités fraternelles qui ne sont pourtant pas grand chose, noyées dans l'amour réciproque du grand frère pour son cadet. Posée en soupir d'entre chapitre, elle se gonfle d'émotion petit à petit, avant d'atteindre un point culminant inattendu, bouleversant. Personne ne sortira de ce roman les yeux secs. Tout est cohérent, solide, troublant d'intensité. Les choix de Mathias ne choquent jamais vraiment, et sont le produit d'une vraie réflexion cohérente, et cette capacité à trouver du beau partout est rafraîchissante dans un monde qui est de plus en plus sombre. Ce roman respire l'humanité, la bonté en chacun de nous, et la capacité de tout un chacun à rendre la vie meilleure autour d'eux. Au final, une expérience de lecture magnifique, un roman beau et fort, et une fin elle aussi digne du plus grand film. Une Vie Pour La Mienne est un roman à mettre entre toutes les mains. Si le cinéma français manque d'inspiration pour son prochain chef d'oeuvre, il faut regarder dans la direction de Laurent Grima.

Commentaires