CHRONIQUE : BEATRICE CADOT / Lettre A Une Amie (BOOKFLUENCER)
Délicat, poétique et déchirant.
Lettre À Une Amie est un récit qui sort des sentiers battus. Présenté comme une adresse à une amie perdue de vue et dont l'amour reste très présent, comme un fil rouge existentiel, cette pas-tout-à-fait lettre dessine les contours d'une petite histoire dans la grande, et de ses aspérités. L'adresse à cette amie qui n'est jamais vraiment nommée raconte les aléas du quotidien, circule entre plusieurs vies, relate des souvenirs. Petit à petit, on est happé dans des petits instants nostalgiques qui prennent une grande place, et dans une description minutieuse qui devient très vite pluri-sensorielle.
On ne connaît pas vraiment les contours de cette poignante histoire d'amitié, et de manque de l'autre. On ne sait pas quand elle a commencé, ni quelles sont ses errances et ses forces, mais on est tout de suite frappé par ce grand vide que l'amie a laissé derrière elle, et comme il est facile de la trouver partout et nulle part en même temps. Très vite, on comprend la douleur sous-jacente de savoir une âme quasi-jumelle loin. C'est le lien qui tient tout le récit, qui parfois peut faire penser à un journal intime adressé à l'autre. Il n'y a pas de repères temporels, ce qui est une force, puisqu'il permet une forme d'envol du récit qui va nous emmener dans les trésors de la mémoire.
Difficile de savoir précisément quelles vies racontées sont réelles, lesquelles sont rêvées, mais ce n'est jamais gênant. La narration ne correspond à aucun code élimé, mais propose sa propre façon de raconter les choses, un peu poétique, parfois lyrique même. On lit cet ouvrage particulier comme on écoute un album de musique, certains mouvements reviennent, d'autres sont poignants, la joie parvient à circuler, et le style très fluide permet de voir ce qui se passe derrière l'écran de cette amitié inaltérable.
La plus grande force de ce récit, c'est son extraordinaire capacité à traduire la mémoire sensorielle sur papier. Très souvent, les descriptions des moments de nostalgie partagés, même de loin, avec l'amie, sont très riches, en se basant sur tous les sens plutôt qu'un seul, et on parvient presque à percevoir les goûts, les odeurs, les sons. L'enfance joue un rôle important, par sa simplicité, et dans un regret certain de la naïveté qui l'accompagne et que les tribulations de la vie finiront par violer.
Porté par une vraie richesse dans l'écriture, le lecteur alterne entre moments presque cinématographiques dans leur précision, constats philosophiques, réflexion sur le monde, et volonté d'embrasser les hauts et les bas de la vie. On se questionne de prime abord, sur l'identité de la personne à qui le récit s'adresse, qui pourrait être vivante ou morte, amie ou amante, peut-être même une adresse à soi-même dans le miroir, avant que les lignes ne s'éclaircissent.
Il y a aussi une mélodie africaine sous-jacente, qui brille par son réalisme. Loin des clichés de l'idéalisation du territoire exotique, ici, il est question de la vraie beauté du continent, de ses blessures, et du lien parallèle qui s'installe entre l'autrice et cet endroit qui contient un trésor.
Il ne faut pas aborder Lettre À Une Amie en attendant une narration classique, mais plutôt comme on se penche sur un tableau qui a plusieurs couches, plusieurs traitements de la couleur, et qui raconte plusieurs histoires dans une. C'est un rappel de ce qui fait de nous des êtres humains, et comme la vie est plus belle avec un ami. L'expérience est unique, poétique et poignante.
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